Alerte aux couloirs bus!

Par Pierre Toulouse
(article paru dans Roue Libre n°105 septembre – octobre 2008)

Nous voici bientôt ramenés 35 ans en arrière à l’époque où MDB se créait pour défendre la possibilité pour les cyclistes de rouler dans les couloirs de bus, à l’initiative de notre fondateur, Jacques Essel.

Il aura suffit qu’un Vélib’ soit renversé par un bus dans un couloir « interdit » pour que la presse s’empare du sujet et que la préfecture se réjouisse de pouvoir brandir plus haut sa matraque anti-cyclistes. N’écoutant que son courage, la nouvelle élue parisienne en charge de la circulation s’est empressée de se réunir avec la Préfecture et la RATP pour envisager les mesures à prendre. Pas la peine bien sûr de s’embarrasser des cyclistes qui, forts de leur expérience quotidienne et témoins de l’histoire, auraient sans doute pu expliquer qu’il s’agissait surtout d’un accident de bus lié à une faute de conduite d’un chauffeur pressé, accident qui aurait pu survenir ailleurs et concerner une moto ou un piéton.

Pas la peine de réfléchir à la pertinence de ces 60 km de couloirs bus en tous genre (avec ou sans séparateur, à contresens ou non…) maintenus interdits, contre l’avis de MDB, à l’issue des négociations qui avaient eu lieu lors de l’ouverture de la majorité des couloirs aux vélos en 2001.

Non, fidèle aux traditions technocratiques et régaliennes on a réuni les gens « sérieux » et on a pris des mesures… sans analyse sérieuse de l’événement qui a provoqué cette décision et sans évaluation préalable. La première décision de ce cartel des « bien-pensants à la place des praticiens » a été de mieux signaler les interdictions. Comme si, dans la jungle des panneaux réglementaires, souvent incohérents, il était nécessaire de rappeler d’abord aux cyclistes les interdictions. Que celles-ci soient ou non justifiées n’a pas effleuré un instant ces caciques de la sécurité routière pour lesquels seul le respect d’un code obsolète peut être le garant de la sécurité.

Nous aurons donc bientôt dans les couloirs interdits de magnifiques panneaux jaunes rappelant simplement le code de la route qui prévoit que tout couloir de bus est interdit aux vélos s’il n’y est pas mentionné explicitement qu’ils y sont autorisés à circuler.

Curieusement, nos amis les ABF ne semblent pas avoir protesté contre ces vilains panneaux, eux qui sont si prompts à s’opposer à toute transformation de la voirie parisienne en notre faveur.
Curieusement les services « réglementation » du préfet ne se sont pas émus de l’utilisation du jaune normalement réservé exclusivement à la signalisation provisoire de chantier.
Curieusement la décision a été prise avant même que les comptages des infractionnistes annoncés par la Ville aient été réalisés.
Curieusement d’autres services de la Préfecture n’ont pas attendu les avertissements annoncés et se sont lancés dans une répression des cyclistes circulant dans ces couloirs de bus (boulevard Beaumarchais et boulevard Raspail par exemple).
Curieusement la presse alertée par nos soins par un communiqué largement diffusé et étayé à la suite d’une intervention honteuse des mêmes forces de l’ordre n’a pas jugé bon d’en reprendre une ligne.
Non, il y avait unanimité : face à ces dangers publics que sont les cyclistes il faut agir. Agir, c’est-à-dire renforcer la répression !

 Peu importe que les statistiques montrent que les accidents sont plus rares dans les couloirs de bus qu’ailleurs (moins de 2 % des accidents corporels impliquant un cycliste).

 Peu importe que le CERTU lui-même écrive dans ses recommandations pour les aménagements cyclables que faire circuler les cyclistes entre les bus et les voitures est à éviter absolument : « La bande cyclable ne doit jamais se situer entre ce couloir et les files de voitures en raison du danger prouvé de ce type de configuration. »

 Peu importe que les cyclistes qui tentent l’expérience de rouler à la place qui est théoriquement la leur (à gauche du couloir interdit) se fassent rappeler à l’ordre par les voitures qui, bien sûr ignorantes du droit, hurlent et les serrent en les doublant d’un coup d’accélérateur rageur.

 Peu importe que, dans la même situation les chauffeurs de bus eux-mêmes, ignorant la règle idiote qui sévit sur leur propre ligne, reprochent aux cyclistes de n’être pas à leur place (voir ci-contre le récit édifiant de notre présidente).

 Peu importe que dans de nombreux cas les mêmes couloirs interdits aux vélos soient autorisés aux livraisons…

Ce qui compte, c’est d’annoncer qu’on va faire quelque chose et pour ceci quoi de plus facile que de réprimer !

Une position appuyée sur une réflexion collective

Face à cette situation, le bureau a proposé d’asseoir sa position sur l’avis du conseil d’administration, étayant ainsi, contrairement aux autres parties, son attitude sur l’expérience de divers pratiquants. Même s’il est difficile de prétendre représenter « les cyclistes », le CA de MDB, qui rassemble des cyclistes de tous genres, s’est réuni sur ce thème en juin et en a délibéré et conclu à une très large majorité : oui, c’est bien dans tous les couloirs de bus qu’il faut autoriser les cyclistes, même ceux à contresens, même ceux qui sont étroits, même ceux qui sont doublés par un aménagement…

Cette règle ne vaut pas que pour Paris et les enjeux sont également importants en banlieue. On peut citer ainsi :

 l’itinéraire du trans Val-de-Marne (bus en site propre entre Créteil et Antony) qui serait parfait pour les vélos moyennant quelques aménagements et constituerait un itinéraire de grande envergure précieux dans ce secteur ;

 le couloir bus central de la RD 905 (de Vitry à Paris) ;

 le couloir bus du boulevard du Lycée à Vanves…

La règle ne peut être respectée que si elle est compréhensible et simple d’une part, et d’autre part que si son non-respect ne conduit pas à une contrainte manifestement inadaptée comme c’est le cas dans ce fameux contresens de la rue Lafayette où est survenu ce drame. Ne pas utiliser ce couloir, c’est s’astreindre à un long détour et à l’emprunt d’axes plutôt moins sûrs.

Seul l’argument souvent employé du maintien de la vitesse commerciale des bus doit être examiné avec un peu d’attention. Les transports en commun sont le pendant d’une politique de lutte contre l’envahissement de la voiture avec le développement des circulations actives (vélo et marche) ; il faut donc veiller à leur efficacité. En moyenne, un bus ne circule pas plus vite qu’un vélo. On pourrait donc imaginer qu’ils ne se gênent pas mutuellement. Malheureusement la vitesse du bus est beaucoup plus variable : atteignant 50 km/h en circulation non gênée, sa moyenne est « cassée » par ses nombreux arrêts. Dans la plupart des cas, le bus est moins gêné par un vélo à doubler que par un stationnement de courte durée : dépose de passager, livraison, achat « minute ».

Seuls les cas où la configuration du couloir bus ne permet pas le dépassement d’un vélo méritent qu’on se pose la question. Quitte à mettre des panneaux, pourquoi dans ces cas-là ne pas rappeler la règle simple de priorité disant aux cyclistes « vous pouvez passer mais le bus est prioritaire : vous ne devez pas le gêner » ?


Comme le prévoit l’arrêté de la PP n° 01-15042

Arrêté de la PP n° 01-15042 portant autorisation aux cycles et deux roues d’utiliser les voies de circulation réservées à certains véhicules.

Article 1er

Par dérogation aux dispositions y afférant de l’ordonnance préfectorale modifiée n° 71-16757 du 15 septembre 1971 et de l’arrêté préfectoral modifié n° 74-16716 du 4 décembre 1974 susvisés, la circulation des cycles est autorisée dans les voies de circulation réservées instituées par l’arrêté préfectoral modifié du 4 décembre 1974 citées ci-après, y compris celles à contresens.

Article 2

Les cyclistes utilisant les voies réservées citées à l’article 6 du présent arrêté doivent y circuler en file simple, près du bord du trottoir, autant que le permet l’état ou le profil de la chaussée utilisée. Ils ne doivent pas s’y arrêter côte à côte.

Article 3

La circulation des tricycles est interdite dans les voies réservées ouvertes à la circulation des autres cycles.

Article 4

Les cyclistes qui empruntent les voies de circulation réservées qui leur sont ouvertes doivent ralentir à l’approche d’un point d’arrêt d’autobus pour être en mesure de laisser à ce véhicule la priorité prévue par l’article R. 6-1 du Code de la route lorsqu’il quitte ce point d’arrêt.

Article 5

Les cyclistes qui utilisent les voies de circulation réservées qui leur sont ouvertes ne doivent pas entamer de manœuvres de dépassement d’un autre cycliste lorsqu’un véhicule motorisé est sur le point de les dépasser.


Quelle attitude adopter ?

Cette contrainte reste bien moins forte que celle qui consisterait à faire les longs détours évoqués ci dessus.

Ainsi, seule une réflexion au cas par cas prenant en compte la largeur, la longueur, l’existence d’itinéraires alternatifs ou d’aménagements attractifs, la fréquence des bus… pourrait conduire à maintenir certains couloirs interdits aux cyclistes.

La liste ci-contre des couloirs interdits ne résulte évidemment pas d’une telle démarche et bon nombre de nos lecteurs seront surpris par les incohérences qu’elle dévoile.

Le conseil d’administration a aussi fait remarquer qu’il fallait commencer à envisager l’avenir sans doute proche où le nombre des cyclistes conduira à une occupation plus importante desdits couloirs qui constituera à terme une gêne. Il faut donc d’ores et déjà se préparer à une évolution des aménagements et à des règles en conséquence. Le travail avec les autorités ne doit donc pas être conjoncturel mais permanent.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, la répression bat son plein et nous ne sommes toujours pas partie prenante de la réflexion. L’argent qui manquait aux services de la Ville pour peaufiner le plan de jalonnement coule sans doute maintenant à profusion pour la mise en place des centaines de nouveaux panneaux mis au point par le groupe de travail évoqué plus haut.

Que faut-il faire ?

MDB a proposé aux autres associations à la rentrée une manifestation médiatique en organisant un défilé de cyclistes roulant à la « bonne place » le long d’un de ces couloirs interdits.
Pour peu que la presse s’intéresse à la question, nous aurons tôt fait de démontrer que le retour aux « couloirs de la mort » – comme étaient surnommées les bandes vertes dessinées au même endroit sous l’ère Chirac – est une idiotie. Il faudra bien qu’un jour les pouvoirs publics se décident à l’admettre : le vélo est un vrai mode de transport et il mérite qu’on prenne pour lui des mesures véritables et qu’on lui consacre un budget à la hauteur de sa place légitime sur la voirie.

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