Le vélo, avec ou sans casque, ce qui est dangereux, c’est de ne pas en faire

Article paru dans Roue Libre n°110 (juillet-août 2009)

Par Pierre Toulouse et Francis Papon

Le 28 mai dernier s’est tenue à Lyon une rencontre des chercheurs français sur le thème du casque pour les cyclistes.
MDB n’y était pas représentée officiellement mais trois de ses membres y ont assisté à titre professionnel. Une occasion pour ouvrir à nouveau ce dossier délicat.

Cette réunion étant organisée par l’UMRESTTE, unité mixte de recherche de l’INRETS, de l’Université Claude Bernard de Lyon et de l’INVS, sous le patronage de « France Traumatisme Crânien » qui regroupe les médecins soignant les victimes de ce type de traumatisme, il était à craindre d’assister à un véritable plébiscite pour le port obligatoire du casque. Si cette position dominait nettement parmi les intervenants, le résultat est néanmoins resté heureusement plutôt nuancé.

Rappel : la position des associations de cyclistes urbains

Les positions de l’ECF (European Cyclist Federation), de la FUBicy et de MDB sont sur la même longueur d’onde : imposer le port obligatoire du casque est une mesure néfaste, avec des effets pervers tels que les bénéfices éventuels de cette mesure seraient plus que neutralisés par ses inconvénients. Si l’utilité du casque en usage sportif n’est sans doute plus à démontrer, il en va tout autrement pour les déplacements utilitaires ou de promenade. D’après des études dites « écologiques » – c’est-à-dire concernant l’effet d’une mesure sur une population – et notamment les résultats publiés par la chercheuse australienne Dorothy Robinson, il semble être démontré que le port obligatoire du casque en Australie n’a été suivi d’aucune amélioration en terme de baisse des traumas crâniens, mais qu’en revanche la pratique du vélo a brutalement chuté de 20 à 30 %. Or d’autres études montrent que plus la population de cyclistes est importante, plus le risque individuel diminue (à consulter absolument : le dossier casque sur le site de la FUBicy).

Ainsi, une loi imposant le port obligatoire du casque pour les cyclistes, si elle permettrait sans doute de réduire les traumatismes crâniens de ceux qui persisteraient à faire du vélo et seraient accidentés tout en portant le casque, a plusieurs effets pervers qui peuvent conduire à un bilan négatif pour la santé publique :

  • en accroissant la prise de risque des cyclistes se sentant invulnérables avec un casque, et des automobilistes à l’égard des cyclistes ;
  • en accroissant l’insécurité pour les cyclistes qui seraient moins nombreux ;
  • en se privant des avantages en termes de santé pour les personnes renonçant au vélo à cause de la loi.

Cependant l’objet de la journée n’était pas de discuter de l’opportunité d’une telle loi (bien qu’il en ait été question), mais de présenter les résultats scientifiques incontestables sur le casque et le vélo.

Une introduction qui permet de cadrer les enjeux

Francis PAPON, chercheur à l’INRETS (Institut national de recherches sur les transports et leur sécurité), a travaillé notamment sur la quantification des apports du vélo comme mode de déplacement. Citant les conclusions de plusieurs études internationales sur les effets de l’activité physique en terme d’apport pour la santé, Francis Papon a présenté un bilan des coûts et avantages kilométriques moyens des cyclistes.

Les coûts comprennent surtout le temps passé, dont la valorisation dépend du plaisir ou de l’inconfort à se déplacer à vélo, le coût monétaire de l’usage lui-même et les effets de l’insécurité subie (accidents)…

Mais les avantages comportent d’abord l’utilité du déplacement pour les déplacements utilitaires, le plaisir pour les déplacements de loisirs, et aussi le bénéfice pour la santé, notamment cardiovasculaire.

Le même exercice fait pour les coûts et avantages pour la société déduit de ce bilan les charges qui ne sont pas imputables aux cyclistes (notamment les dommages des accidents dont ils ne sont pas la cause physique), et ajoute les (faibles) charges qu’ils ne payent pas.

Cet exercice d’économiste, s’appuyant sur des valeurs tutélaires qui peuvent évidemment être contestées mais qui sont la référence admise, aboutit à un bilan nettement positif pour la société.

valeurs moyennes (¤2000/km)vélo
total externalités positives0,27
taxes payées0,02
santé (gains sécurité sociale et employeurs)0,01
insécurité reçue nette0,22
pollution inhalée0,007
bruit supporté0,003
congestion supportée0,014
total externalités négatives-0,05
dépenses routières-0,01
insécurité émise-0,008
pollution émise-0,03
effet de serre0,00
bruit émis0,00
congestion émise-0,007
solde+0,22

S’appuyant sur les enquêtes nationales sur les transports de l’INSEE dont les résultats de l’édition 2009 devraient être publiés à l’automne, Francis Papon a aussi dressé un bilan de l’activité physique et de la mobilité à vélo.

Anne VUILLEMIN, de l’école de santé publique de Nancy, a enfoncé le clou en rappelant que les bénéfices associés à la pratique du vélo, activité physique aérobie, sont incontestables. Ainsi une synthèse de 33 études menées depuis 1992 montre que la pratique du vélo fait diminuer les risques de plus de 30 % pour les accidents cardiovasculaires sans être agressif pour les articulations et en favorisant le retour veineux. Des résultats sont aujourd’hui certains pour le cancer du sein et du côlon et le diabète.

Une fois ces jalons solidement plantés voici un panorama des intervenants et de leurs interventions.

Les positions des différents intervenants

Cette journée a au moins permis d’y voir plus clair quant aux connaissances et aux positions des différents protagonistes de cette saga du casque. Ces positions sont complexes, et il serait contre-productif de se limiter à y voir un affrontement entre les partisans et les adversaires d’une loi sur le casque obligatoire.

L’AFTC (Association des familles de traumatisés crâniens) n’était volontairement pas incluse dans le programme de la journée, mais certains de ses membres étaient dans la salle et ont d’emblée exprimé leur position sans appel : « il faut rendre le casque obligatoire ». Heureusement leurs questions ont rapidement été éludées. Il serait vain et indécent de débattre avec eux, car il faut bien comprendre qu’ils ont souffert et souffrent encore d’un drame familial.

FTC (France traumatisme crânien) ne doit pas être confondue avec l’association précédente, car c’est une association de médecins qui s’occupent de traumatisés crâniens. Ils sont naturellement soumis à la pression des familles, et sont à l’origine de la journée. Ils ne connaissaient rien au vélo a priori, et donc l’idée simple de rendre le casque obligatoire leur paraissait naturelle. Mais ce sont des scientifiques, ils ont compris que la problématique était plus compliquée, et sont prêts à adopter des positions plus nuancées à l’égard d’une loi sur le port du casque, se fondant sur des arguments scientifiques fondés.

Notons qu’il y a en France 16 000 décès par an par traumatisme crânien, mais « seulement » 142 cyclistes toutes causes confondues. Notons aussi que le vélo est le mode qui, comparativement au nombre de tués, a le plus de blessés avec des séquelles graves.
Le Dr Plantier a décrit les connaissance des mécanismes qui provoquent les dégâts dans le cerveau. Il semble que, plus que les coups eux-mêmes, ce soient les cisaillements introduits par les mouvements de rotation brutale qui entraînent les décès et les plus gros effets.

Les fabricants de casque ont été écartés de la journée. Trois ou quatre personnes étaient présentes dans la salle, mais ne sont pas intervenues. Leurs intérêts sont bien compris.

En revanche Rémy WILLINGER, de l’université de Strasbourg, qui travaille avec eux et sur la mise au point de normes de casque, a fait deux présentations. S’il est manifestement pour le casque, c’est aussi un scientifique, féru de modèles numériques (représentant en particulier la mécanique de la chute et du choc).

Interrogé en aparté il a volontiers admis qu’on ne savait que très peu de choses sur les mouvements qui précèdent le choc et que la position du cycliste sur son engin est un des facteurs essentiels à prendre en compte. Cycliste quotidien lui-même, il a admis qu’il ne portait pas le casque.

Si ses travaux ne servent qu’à améliorer les casques, il n’y a rien à quoi les cyclistes puissent s’opposer. Toutefois, le Pr Claude Got a démoli sa boutique en affirmant qu’il y avait peu à attendre d’une amélioration du casque en termes de protection.

Thierry SERRE, du laboratoire de biomécanique appliquée de l’INRETS, a examiné plus de 800 casques rapportés après accidents à des vélocistes partenaires qui s’engageaient à fournir un casque gratuitement à ceux qui leur rapporteraient le casque abîmé (la plupart étaient de marque « Giro »). L’analyse des impacts a montré que les chocs sont très nettement plus nombreux et plus importants sur les parties basses des casques que sur la calotte. Il semble que le nombre d’aérations influe légèrement sur la solidité du casque (sans qu’on puisse en déduire qu’ils protègent mieux ou non). Évidemment, on peut déplorer, là encore, de ne disposer d’aucun renseignement ou presque sur les circonstances des accidents.

En guise de conclusion, un casque dans la calotte duquel était fichée une pierre de la taille d’un œuf fut présenté à l’admiration du public.

Claude GOT est un cycliste de randonnée (et également un cycliste quotidien), et un expert renommé en sécurité routière, et il connaît plutôt bien les accidents de cyclistes qu’il a étudiés notamment au travers de la lecture et de la classification de centaines de procès-verbaux dans le cadre d’une étude malencontreuse sur la responsabilité des cyclistes dans les accidents mortels. De cette étude, largement commentée il conclut que 11 % des cyclistes tués sont tombés seuls, et 31 % ont été heurtés à l’arrière (il impute néanmoins la responsabilité au cycliste non éclairé dans 15 % de ces accidents), et environ 10 % de déports de véhicules ou de non-respect de la priorité. Il déclare que les cyclistes sont « plutôt » ou tout à fait responsables dans plus de la moitié des accidents mortels. Sans, là non plus, distinguer les pratiques.

Ces résultats sont stables dans le temps (il a réalisé la même étude en 1990 et en 2001/2003) Seule la proportion de chutes augmente parmi les types d’accident : il en conclut que la baisse des tués à vélo ces dernières années était essentiellement due à la baisse des vitesses pratiquées par les véhicules à moteur. Bien que fervent promoteur du port du casque qu’il met, dit-il, « même pour aller chercher du pain », il ne s’est pas exprimé au sujet de la loi sur le casque, et si on peut critiquer sa définition de la responsabilité des cyclistes dans les accidents, on peut compter sur lui pour reconnaître l’intérêt primordial de privilégier la sécurité primaire des cyclistes (éviter l’accident).

L’INVS (Institut national de veille sanitaire représenté par B. THELOT) paraît plus inquiétant en abordant le vélo seulement comme un risque sanitaire : ce sont eux qui ont lancé les campagnes pour le casque, et ils regrettent qu’elles aient dû être interrompues (selon eux pour ne pas compromettre le lancement de vélib’). Ils ont fait une étude épidémiologique limitée sur les accidents de vélo (pas d’échelle de gravité, pas de circonstances des accidents). Ce sont eux qui ont la mission de dire aux pouvoirs publics quels sont les risques pour la santé. Ils s’appuient sur l’étude dite « EPAC » (Enquête permanente sur les accidents) qui consiste à recueillir des éléments auprès d’un certain nombre de structures médicales réparties sur le territoire. Ainsi entre 2004 et 2007, sur 400 000 accidents, 13 000 impliquaient la présence d’un vélo (mais on comptabilise ici les accidents de réparation, ceux de chute du vélo sur un enfant ou du vélo stationné faisant chuter un passant, etc.). Dans ce contexte 90 % des accidents sont des chutes de cyclistes qui occasionnent des blessures à la tête dans 28 % des cas ces blessures étant bénignes dans 95 % des cas (plaies ou contusions).

L’INPES (Institut national de protection et d’éducation pour la santé) ne fait que mettre en œuvre les politiques de prévention et d’éducation pour la santé dans le cadre plus général des orientations de la politique de santé publique fixées par le gouvernement. Mais ces orientations doivent provenir des recommandations de l’INVS. Ils ont présenté une enquête sur les perceptions du risque et les bonnes pratiques à vélo, bonnes pratiques qui incluent le port du casque, et se demandent comment améliorer l’esthétisme, la fonctionnalité et le confort du casque et informer la population pour que les cyclistes le portent davantage. C’est curieux, c’est le même discours que celui de Mme Merli, la déléguée à la sécurité routière lors des journées d’études de la FUBicy.

L’UMRESTTE est une unité mixte de recherche de l’INRETS, de l’Université Claude Bernard de Lyon et de l’INVS. C’est elle qui a organisé la journée. Mireille CHIRON, Amina NDIAYE et Emmanuelle AMOROS ont présenté plusieurs analyses intéressantes à partir du registre du département du Rhône (registre des accidents constitué aux urgences), en distinguant (lorsqu’ils ont les données, soit dans 80 % des cas) : enfants, accident en milieu urbain ou en milieu rural (distingué par le numéro et la population de la commune où a eu lieu l’accident). Ils démontrent que les cyclistes sont moins souvent gravement atteints que les automobilistes, et que le port du casque n’a pas un effet significatif en ville. Une autre étude contrôlant aussi les accidents par zone, type de route, type de trajet, nature de l’antagoniste, prouve que le port du casque divise par trois la probabilité de blessures graves à la tête parmi les blessés hospitalisés. Mais les partisans du casque disent que l’effet est sous-estimé à cause des personnes qui n’ont pas été hospitalisées (grâce à leur casque) et ne sont donc pas prises en compte dans l’échantillon. Inversement, comme c’est une étude « cas-témoin », elle ne prend pas en compte la modification des comportements des cyclistes casqués (et des automobilistes à leur égard).

L’équipe Avenir PPCT de l’INSERM (Aymery CONSTANT et Emmanuel LAGARDE de Bordeaux) fait preuve de parti pris dans son analyse des travaux sur l’effet des lois rendant le casque obligatoire : les études de Dorothy Robinson sont selon eux biaisées par le fait qu’elle est contre ces lois, alors que les études qui montrent un effet de la loi sur les traumatismes crâniens seraient moins suspectes (en fait même ces études montrent que la loi ne réduit que faiblement le nombre de traumatismes crâniens, beaucoup moins que ce à quoi on pourrait s’attendre à partir des études cas-témoins (celle récente de l’UMRESTTE ou celle plus ancienne de la revue Cochrane).

Une expérience intéressante mais à la portée scientifique discutable

Cette équipe propose d’améliorer les connaissances sur les effets du port du casque sur les comportements des cyclistes et des autres usagers de la route. Pour cela ils ont monté une expérimentation d’envergure dénommée « CASC » qui vise :

d’une part à repérer les effets de l’information ou de la fourniture d’un casque sur le niveau de port dudit ornement ;

et d’autre part à examiner les comportements des cyclistes et voir s’il y a des conduites différentes entre ceux qui portent un casque et ceux qui n’en portent pas.

Le premier point sera étudié en proposant à plusieurs échantillons de cyclistes empruntant pour une longue durée un vélo à la Maison du vélo (essentiellement des étudiants), soit un casque, soit une information sur le casque, soit les deux, soit aucun des deux, puis d’observer le taux de port de chacune des catégories en les repérant grâce à des caméras lors de la seconde partie de l’expérience.

Pour celle-ci sept lieux du centre de Bordeaux ont été équipés de caméras zénithales qui repèrent (grâce un logiciel intégré) les cyclistes entrant dans le champ et permettent de mesurer leur vitesse, leur position sur la chaussée (proximité du stationnement ou des autres véhicules) et d’observer leurs « prises de risques » avec l’aide d’une seconde caméra. Sur ce point, interrogés par Pierre Toulouse sur cette notion d’appréciation du risque, ils ont expliqué leurs présupposés : un comportement « à risque » des cyclistes c’est essentiellement ne pas respecter le code de la route et ne pas porter de casque. Alors qu’on leur faisait remarquer que la prise d’une rue à contresens hier interdite et aujourd’hui autorisée passe du statut de « conduite à risque » à celui de conduite normale, ils se sont dits confortés par une analyse des accidents sur le domaine de la CUB.

L’expérience devrait se dérouler au second semestre de cette année.

Conclusions

La table ronde finale n’a pas permis de lever les contradictions entre les différentes parties, mais a été heureusement modérée par Bernard LAUMON, directeur de l’UMRESTTE.

Les associations de cyclistes ont été délibérément écartées de la journée mais leurs représentants n’ont cependant pas été refusés, par souci de se concentrer sur le débat scientifique et de symétrie par rapport à l’AFTC, mais certains des présents ont néanmoins posé des questions (im)pertinentes.

Le besoin de données précises sur les différentes pratiques lors de la survenue des accidents fait partie des réflexions retenues à l’issue de cette journée qui n’a pas conclu à l’urgence de mesures coercitives en matière de port du casque.

Pierre Toulouse a fini par proposer la résolution suivante : Personne ne conteste que le casque puisse parfois préserver les cyclistes de blessures graves à la tête et les résultats des études « cas témoin » le confirment, même s’il y manque toujours la nature de la pratique au moment de l’accident. Toutefois, compte tenu d’une part des apports certains du vélo en terme de santé publique étant donné son statut d’activité physique, qui sont sans commune mesure avec les effets positifs du casque, et d’autre part des risques importants, même s’ils sont mal connus, d’effets pervers d’une loi le rendant obligatoire, il n’y a pas de raison de se presser dans cette direction. Obligera-t-on les baigneurs au port de la bouée sur les plages au prétexte que les noyades estivales sont nombreuses ?

À ce qui, bien entendu, se voulait une boutade, Bertrand Thélot de l’INVS se mit à répondre très sérieusement malgré les sourires de la salle, que la problématique n’était pas la même et que l’INVS connaissait bien le sujet des noyades et que… avant que Bernard Laumon ne le coupe, lui épargnant de sombrer dans le ridicule.

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