Le rapport contre les violences routières manque la cible

Emmanuel Barbe avait été chargé en octobre 2024 d’élaborer des recommandations pour lutter contre les comportements violents sur la route, à la suite du meurtre de Paul Varry le 15 octobre. Ce drame illustrait les dangers d’une cohabitation non-régulée sur la route, et en l’occurrence, d’une haine pour les autres. Ce lundi 28 avril, le ministère des transports publie son rapport. Celui-ci « passe à côté de son sujet », commente Alexis Frémeaux, président de l’association auprès du Parisien : « il propose beaucoup de choses sur la prévention, mais rien sur l’identification des auteurs de violences routières et leur sanction. Restent donc deux angles morts : comment sortir la minorité de conducteurs violents de la route ? Comment être pris au sérieux quand un cycliste va déposer plainte ? On sent une frilosité à nommer les choses et à mettre en place des moyens contraignants pour sanctionner les auteurs de violences sur la route. »

Lire aussi : les propositions de MDB pour lutter contre les violences motorisées

Des préconisations éloignées du problème soulevé

Paul Varry circulait sur un aménagement cyclable et respectait le code de la route quand l’automobiliste, qui lui, n’y avait pas sa place, l’a écrasé.

Les témoignages qui ont afflué ensuite montrent une banalisation inacceptable de comportements sciemment dangereux. Le manque de poursuites de ces comportements est à l’origine d’un sentiment d’impunité auquel il faut mettre un terme. Notons que l’Espagne a réussi à changer les comportements des automobilistes en verbalisant massivement les comportements les plus dangereux. Mettre hors des routes françaises les personnes violentes derrière un volant aurait dû être l’objectif principal de ce rapport.

Mettre les personnes violentes sur la route hors d’état de nuire ?

Insérer sur les contraventions un QR code rappelant la raison d’être de la règle transgressée ne peut pas suffir. Il est impensable de laisser ses armes à une personne soupçonnée d’en avoir agressé une autre. Nous défendons à ce titre la systématisation des poursuites contre les auteurs de violences, la prise en charge des plaintes ainsi que des mesures immédiates de confiscation des véhicules dans ces conditions, comme c’est déjà possible pour les grands excès de vitesse.

  • Recommandation n°14 : insérer dans les avis de contravention routière envoyés par l’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) le lien par le code QR vers une information de la DSR relative à la règle du code de la route transgressée et à sa raison d’être.

Réviser les recommandations de l’ARPP ?

Emmanuel Barbe propose de solliciter une autorité dont les services de l’État ont déjà dénoncé la mainmise des constructeurs automobiles1. Ceux-là mêmes qui prennent pour slogan publicitaire « on ne va pas laisser un pays de cyclistes nous barrer la route ». Les seules publicités automobiles sanctionnées l’ont été par la loi après que l’ARPP les ait validées. Et la seule publicité en rapport avec les transports que l’ARPP a interdite est celle… de VanMoof, un constructeur de vélos.2

  • Recommandation n°3 : saisir l’autorité de régulation des professionnels de la publicité (ARPP) pour mettre en œuvre le processus de révision de sa recommandation automobile afin de garantir la présence d’un contexte d’usage de la voiture plus représentatif des conditions réelles d’utilisation et notamment de la nécessaire présence et cohabitation de différents usagers de la route.

Quelques bonnes idées à mettre en oeuvre rapidement

Réformer les critères d’évaluation du permis de conduire

Les mesures valorisant la prudence au profit du dynamisme à l’épreuve du permis et prévoyant de former les instructeurs et inspectrices dans ce sens vont dans la bonne direction. Elles permettront de corriger l’anomalie relevée dans le rapport : les femmes, moins dangereuses que les hommes sur les routes, sont pourtant aujourd’hui plus susceptibles d’échouer à l’examen.

  • Recommandation n°8 : modifier le titre professionnel d’enseignant à la conduite pour y intégrer de manière beaucoup plus prononcée les capacités de transmission des notions de partage de la voirie, de courtoisie et de respect, de gestion des émotions et de stéréotypes de genre.
  • Recommandation n°9 : rendre la formation continue obligatoire pour tous les enseignants de la conduite, pour leur permettre de recevoir une formation aussi sur les points dont l’évolution est souhaitée pour le titre professionnel.
  • Recommandation n°10 :
    • expertiser les tests de perception des risques préalables à l’épreuve pratique du permis de conduire et le cas échéant les introduire dans l’examen pratique du permis de conduire.
    • expertiser l’utilité et la possibilité, par le biais d’une bicyclette fixe, de faire mesurer aux futurs candidats au permis de conduire, durant leur formation, ce que ressent un cycliste lorsqu’il est
  • dépassé par un véhicule.
  • Recommandation n°11 : rendre obligatoire, dans l’épreuve pratique du permis de conduire, la démonstration par le candidat qu’il sait ouvrir la portière du véhicule « à la hollandaise ».

La prise en compte des preuves vidéos

Les « dashcams » enregistrent une partie des violences que subissent les cyclistes. Leur rejet dans la prise en compte des plaintes est incompréhensible alors que nos voisins britanniques le font déjà ! La proposition 34 va donc, nous semble-t-il, dans le bon sens.

  • Recommandation n°34 :
    • compléter la liste des infractions pouvant donner lieu à vidéoverbalisation
    • mettre en chantier les modifications législatives nécessaires pour l’utilisation de la vidéoverbalisation augmentée aux fins de verbalisation

Franchissement de ligne blanche pour dépasser les cyclistes

Alors que la distance minimale pour dépasser les cyclistes est fixée à un mètre en agglomération et un mètre et demi hors agglomération, cette distance minimale n’est que trop rarement respectée. Les automobilistes bienveillants pourraient même encore plus s’écarter ? La loi le leur interdit parfois : s’il est depuis 2015 possible de chevaucher une ligne continue lorsqu’on double un cycliste, il reste interdit de la franchir complètement. Mais comme personne ne le sait, personne ne le fait ni ne le fait respecter ! Une bonne recommandation, donc… si on la fait ensuite connaître et appliquer.

  • Recommandation n°25 : modifier la règle du dépassement en prévoyant que, sur une route disposant d’au moins deux voies, bidirectionnelle ou non, le véhicule à moteur doit franchir complètement la ligne médiane pour dépasser les usagers cités à l’article R414-4 du Code de la route.

Rendre prescriptives les normes du CEREMA

Le CEREMA a considérablement mis à jour ses recommandations pour la création d’aménagements cyclables de qualité. Mais tant qu’elles restent non opposables, les collectivités peuvent faire – et font trop souvent – passer les aménagements dédiés aux cyclistes en queue de peloton de leurs priorités. Là aussi, l’idée est bonne, mais il faudrait s’assurer de la réalité de son application.

  • Recommandation n°23 : (ministère des transports, ministère de l’Intérieur/DSR) : avec l’appui du CEREMA, et dans la concertation (experts, usagers), établir des normes visant à harmoniser la conception des aménagements cyclables. Aboutir à un traitement unifié sur tout le territoire national des carrefours et giratoires, une couleur unique pour les pistes cyclables, une couleur pour les sas vélo et la signalisation tout du long des doubles-sens cyclables

Rétablir les fonds prévus dans le plan vélo

Pas vraiment mise en avant dans le rapport, une petite phrase est pourtant cruciale pour la sécurisation des cyclistes : les auteurs du rapport jugent « essentiel » de rétablir dans les prochaines lois de finances les montants prévus dans le 2ème plan vélo. Le budget de 250 millions d’euros annuel voté en 2023 a totalement disparu en 2024 pour finalement être réévalué à hauteur de 50 millions d’euros seulement en 2025, doit permettre de réduire la fracture territoriale cyclable entre les métropoles, leur périphérie et la ruralité.

  1. Retrouvez le rapport complet sur la publicité, commandé en 2024, jamais publié jusqu’à sa fuite en mars 2025 ici ↩︎
  2. VanMoof lance sa nouvelle campagne télé… mais elle ne sera pas diffusée en France ↩︎

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