Revêtir les voies vertes, un crime contre l’environnement ?

Un peu de technique routière

Dans le code de la route, une voie verte est une route, et une route ce n’est pas qu’un espace sur lequel on a arraché l’herbe pour y faire passer les gens: une route ça se construit !

Après avoir creusé le sol, on remplace la terre par des cailloux pour faire une fondation. Ces cailloux sont choisis en fonction de leur taille pour former une « grave ». Cette fondation de 20 à 40 cm d’épaisseur est surmontée par une « couche de roulement ». Celle-ci peut être en grave naturelle ou en grave traitée. Les diamètres des cailloux et la teneur en eau sont alors choisis avec soin et mélangés avec du sable de façon à pouvoir être le mieux compactés possible. Si on veut assurer plus de durabilité, on peut ajouter aux cailloux un liant hydraulique (ciment, laitier de haut fourneau, chaux…). Ainsi, sans – ou avec juste ce qu’il faut de liant hydraulique pour que ça ait l’air bien à la mise en service – si la couche est bien conçue (bonne granulométrie et bon compactage), la surface est lisse et bien roulante… enfin au moins dans un premier temps !

En effet, la couche de surface se dégrade avec le temps et devient rapidement moins roulante.


Piste en stabilisé, non revêtue. C’est beau… quand c’est neuf.

Restons à la surface

Le plus souvent, cette dégradation a pour principal effet que le cycliste perd du rendement, de l’ordre de 2 à 4 km/h à effort constant. 3 km/h de moins ce n’est pas grand chose, diront certains (y compris certains cyclistes) : le cyclotourisme n’a pas d’objectif de vitesse ! Pourtant, à la fin d’une journée de 6 à 8 heures de vélo, ça fait tout de même une vingtaine de kilomètres parcourus de moins pour le même effort. Ce n’est pas forcément grave mais ça limite le rayon d’action et donc le nombre de choses visitables dans une journée.

Dans tous les cas, les voies non revêtues sont salissantes lorsqu’il pleut (boue, flaques) ou poussiéreuses quand il fait sec. Ne parlons pas de l’acceptabilité pour les personnes en fauteuil roulant ou pour les pratiquants du roller qui se voient ainsi interdire de très grands linéaires de voies.

La solution, si l’on veut éviter ces dégradations, c’est de protéger la surface de la pluie. Pour cela, on peut renforcer le dosage de ciment et on obtient un béton. Ou bien alors faire une couche de roulement avec un mélange de cailloux et de bitume.

Il y a, pour ça, deux familles de techniques différentes .
  • La première, ce sont les enduits : on répand au sol une couche de bitume et on y ajoute des gravillons qui s’y collent puis on passe un compacteur. Généralement peu aimés des cyclistes et encore moins des rollers, cette technique économique peut néanmoins être intéressante car on peut faire plusieurs couches avec des gravillons de tailles différentes et obtenir ainsi un revêtement assez lisse. Inconvénient : si on n’aspire pas les cailloux en surnombre, on a rapidement des masses de gravillons libres très gênants, qui freinent autant que les surfaces non revêtues.
  • La seconde famille, ce sont les enrobés : un mélange de cailloux et de bitume réalisés en centrale et étendus avec un finisseur, puis compactés. Pour nous, c’est le top du confort !

Mais très souvent ces enrobés (et même les enduits) sont refusés par les aménageurs…

Le processus du refus du revêtement

Lorsqu’une collectivité aménage une voie verte, y compris sur des emprises qui existent déjà (ancienne voie de chemin de fer ou chemin de halage), elle est soumise à de nombreuses contraintes règlementaires. Le code de l’environnement se référant au code de la route, il assimile les voies vertes à des routes et leur applique les mêmes procédures préalables à la construction : enquête publique, étude d’impact, enquête « loi sur l’eau », espèces protégées, sites classés…

Ce sont ces procédures qui conduisent le plus souvent à la décision de ne pas revêtir la voie avec un enduit ou un enrobé. On pourrait applaudir, en pensant que cela ne dégrade pas la nature, et accepter ce handicap – qu’on n’imagine cependant jamais d’infliger aux touristes en auto – mais y a-t-il vraiment dégradation de la nature lorsque l’on revêt la piste d’un bel enrobé bien lisse ?

Piste de l’aqueduc de la Dhuys, chemin non revêtu

Des arguments contre le revêtement contestables

L’imperméabilisation des sols

C’est le premier argument invoqué par les responsables de l’environnement.

Ce problème environnemental est bien connu et on ne peut que regretter que, depuis des années des millions d’hectares soient imperméabilisés. Ce phénomène est d’abord dû aux extensions urbaines, ZAC, centres commerciaux, lotissements et à leurs parkings mais la desserte routière y participe également.

Outre la perte de terres cultivables, l’imperméabilisation conduit à augmenter et accélérer les afflux d’eau dans les points bas créant ou aggravant les inondations.

Ce phénomène est particulièrement marqué lorsqu’on aménage des zones pentues.

En est-il de même lorsqu’on bitume une voie verte ?

Tout d’abord il faut relativiser l’aggravation d’imperméabilisation liée à l’utilisation de liants bitumineux qui n’est que très relative par rapport à celle d’une grave compactée, qui est certes un peu moins étanche, mais qui génère un ruissellement assez comparable en cas d’épisodes pluvieux importants. Lorsque l’on ajoute un liant hydraulique, la différence devient minime.

Ensuite, les voies vertes sont le plus souvent situées en zones plates. Le surplus de ruissellement que génère son imperméabilisation se limite donc à ses environs immédiats et elles ne constituent pas un cheminement préférentiel susceptible de les transformer en torrent. Mais l’erreur majeure que commettent les opposants au revêtement des voies vertes, c’est l’assimilation aux routes, celles où circulent les automobiles.

Les routes sont le lieu de recueil de nombreuses pollutions liées à la circulation des véhicules motorisés : débris de pneus, de plaquettes de freins, et bien entendu d’hydrocarbures. Les quantités sont telles que les règles de protection des eaux imposent, depuis plusieurs décennies, de réaliser un « assainissement séparatif ». Pour cela on récupère les eaux de la chaussée dans des fossés étanches, et on les conduit à des bassins de décantation et de traitement situés en point bas, espacés en général de plusieurs kilomètres. Il n’y a bien évidemment rien de comparable entre une plateforme étanche de 10 m de large sur laquelle toute la pluie qui tombe est envoyée à 1 km, et l’eau qui tombe sur une voie de 3 m de large  puis qui s’écoule et s’infiltre au plus à 1,5 m de là où elle est tombée !

Mais cette constatation de bon sens, les défenseurs de l’eau refusent de la faire pour des voies dont ils estiment qu’elles n’ont même pas pour elles la justification économique qu’ils prêtent aux routes. Car ils estiment que si les cyclistes veulent passer, c’est avant tout pour leurs loisirs et, dans ce cadre, ils peuvent bien se contenter d’un chemin !

La biodiversité

Sur le plan de la biodiversité, il existe probablement des différences entre un chemin et une voie bitumée. On peut ainsi imaginer que les flaques d’eau qui apparaissent rapidement sur les chemins non revêtus accueillent volontiers larves de moustiques ou têtards… néanmoins on peut penser que l’objectif des voies vertes n’est pas d’être le lieu privilégié du développement de cette petite faune. Il est peu probable qu’il y ait de grosses différences entre chemins revêtus ou non pour d’autres animaux.

Les paysages

Reste la question des paysages. Dans de très nombreux sites classés (qu’ils soient à valeur patrimoniale ou paysagère), le bitume est honni. On recherche des coloris et des matériaux « compatibles » avec l’intérêt des sites.

Cette recherche peut se comprendre à proximité immédiate de monuments (échelle d’écluses, aqueduc, château…) mais il est plus difficile d’admettre que les quelques mètres carrés de bitume déparent une vallée ou un coteau plus que ne le ferait le même chemin non revêtu. Les paysages n’ont pas beaucoup d’intérêt intrinsèque : ils ne valent que parce qu’on peut en profiter. Quel moyen plus calme et moins intrusif que de se déplacer à vélo pour admirer une forêt, un vieux village, une crête ou une falaise ? Est-il de bonne politique que de décourager ces visiteurs vertueux ?

C’est un peu comme si on mettait des pavés dans un musée au prétexte que c’est plus cohérent avec l’époque des tableaux exposés sans se préoccuper du confort des visiteurs.

Si vraiment le site l’impose, à de rares exception près, on peut mettre en place des enrobés avec des granulats clairs qu’on décape après mise en œuvre (le revêtement aura alors la couleur des cailloux) ou décolorés au bitume contenant des nanoparticules d’oxyde de titane ou utilisant des liants non bitumineux conjugués avec des cailloux clairs. Ces produits, beaucoup plus chers (de l’ordre de 40€/m2 pour 15€ pour un enrobé bitumineux), ont l’avantage de pouvoir se teinter et donc de bien s’accorder à l’environnement.

Les impacts environnementaux propres à la construction

Pour ce qui concerne les impacts à la mise en œuvre, il est incontestable que les revêtements bitumineux qui nécessitent un chauffage important ou l’utilisation de fluxants chimiques ont un impact supérieur à celui de chemins non revêtus. Il ne faut pas oublier néanmoins que les graves ciment utilisent également des liants à forte consommation énergétique. Pour faire un bilan équitable il faudrait pouvoir mesurer les effets du choix « revêtu bitumineux/revêtu hydraulique/non revêtu » sur la fréquentation (cyclistes mais aussi autres usagers) et pouvoir ainsi prendre en compte les économies d’énergie réalisées par les usagers eux-mêmes en choisissant le vélo au lieu de l’auto.

Les coûts

Enfin, en ce qui concerne les coûts, si les revêtements bitumineux sont souvent plus onéreux à la construction, il faut se souvenir qu’ils entraînent des économies en limitant l’orniérage et l’envahissement par la végétation qui surviennent souvent sur les simples chemins encailloutés, même traités au ciment, et nécessitent donc un entretien plus fréquent.

En guise de conclusion

Les touristes comme les utilisateurs quotidiens du vélo ont, en se déplaçant sans moteur, une approche très respectueuse de l’environnement.

Cela ne suffit pas à réclamer que l’on aménage leurs voies sans prendre en compte leurs impacts mais il n’est pas illégitime de demander que les mesures qui leur sont appliquées soient au moins adaptées aux inévitables dégâts que cause toute activité humaine.

N’ayons donc pas honte de réclamer que nos chaussées de voies vertes soient revêtues correctement de façon à les rendre réellement attractives.

par Damas Froissart – Roue Libre 151 – mai – juin 2016

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