Semaine spéciale « petits braquets » dans les Alpes de la Mitteleuropa

descente du Cason di Lanza

La semaine prévue sera finalement étendue à 13 jours par consensus entre les participants, pour partie afin de profiter des accès ferroviaires les plus commodes (voir encadré : comment s’y rendre), et surtout pour l’intérêt du parcours.

Si l’attrait des paysages de montagne et le côté sportif ont été au départ la principale motivation du projet, la découverte d’une diversité de cultures locales nous a emmenés de surprise en surprise tout au long de l’itinéraire et a porté le dépaysement bien au-delà de la participation à un festival de cols.

descente du Cason di LanzaÀ commencer par les variétés linguistiques : même s’il est connu que jusqu’à une période récente les habitants des régions montagneuses se fréquentaient assez peu d’une vallée à l’autre, les contrastes sont parfois saisissants. Ainsi en est-il des Dolomites que l’on croyait italiennes : au cœur du massif, le col de Sella marque une véritable frontière intérieure. Les inscriptions en allemand suscitent d’abord une certaine incrédulité lorsqu’on y apprend qu’on entre dans le « Südtirol » mais le doute est bientôt levé lorsqu’on se voit adresser la parole dans une langue de Goethe parfaitement claire contrairement au dialecte des Suisses germanisés du canton des Grisons. L’aubergiste du Südtirol, appellation locale de la région du Haut-Adige, se fait un peu tirer l’oreille pour parler l’italien pourtant langue officielle, mais s’applique à parler un allemand tout à fait praticable par les étrangers. Ainsi en sera-t-il au long d’un parcours de quelque 150 kilomètres au bout duquel on retrouvera, en passant le col du Stelvio à l’approche de la Suisse, une Italie plus conforme aux images habituelles. Pas pour longtemps d’ailleurs car le col suivant nous emmène vers la curieuse région de Livigno, sorte d’enclave italienne en Suisse. Impossible à contrôler par le pouvoir central du fait de son enclavement, la vallée a historiquement acquis un statut de zone hors-taxes, toujours florissante de nos jours si on en juge par le nombre de magasins de produits de luxe et autres tabacs et alcools. Même les carburants pour automobiles affichent des tarifs jamais vus chez nous depuis qu’ils s’affichent en euros. Le seul poste de douane réellement actif vu au cours de notre voyage reste celui au passage du col qui sépare Livigno du reste de l’Italie.

passage en Suisse au col de Livigno, avec au fond les glaciers de la BerninaLes premiers tours de roue en Suisse se font dans la vallée de Poschiavo en repassant sur le versant sud des Alpes, de langue italienne donc, avant de franchir un peu plus tard le col de la Bernina pour revenir sur le versant nord. Germanisé depuis le moyen-âge (en dehors des vallées italianophones), le canton des Grisons cherche à maintenir en vie sa langue historique le romanche, reconnu tardivement en 1938 comme quatrième langue nationale de la confédération helvétique. Le succès de la tâche semble incertain, rendu difficile par l’existence de dialectes sous-régionaux. De fait, notre contact avec le romanche se fera uniquement par l’écrit sur les panneaux d’affichage officiels et essentiellement en zone de montagne. La langue semble proche de la nôtre, en tous lisible par les francophones. À Coire, capitale économique et administrative du canton des Grisons et qui se proclame plus ancienne ville de Suisse, jadis chef-lieu de la province romaine de Rhétie, les inscriptions en romanche sont pratiquement inexistantes.

Plus à l’est en Italie, le frioulan quoique moins connu semble compter beaucoup plus de pratiquants. Ici la montagne porte les stigmates des batailles sanglantes de la première guerre mondiale qui finira par l’annexion à l’Italie de toute la région, prise sur les débris de l’empire austro-hongrois et promptement italianisée. Pontebba, une de nos villes-étape, n’a toutefois pas effacé l’époque des deux villes jumelles Pontebba et Pontafel, séparées par un torrent et par d’imposantes bornes-frontière (en allemand) toujours en place. D’un côté une église à clocher pointu, de l’autre une église avec un clocher à bulbe et des inscriptions en allemand, rappellent les anciennes différences culturelles.

pique-nique près du col de GiauTout ceci reste pourtant « classique » en comparaison de l’ahurisssant champ de bataille à plus de 3000 mètres d’altitude dans le massif de la Marmolada, point culminant des Dolomites. L’Autriche ayant décidé en 1915 d’occuper l’endroit dont on a pourtant du mal à percevoir l’intérêt stratégique, les orgueils nationaux sont parvenus à établir un réseau de tranchées toujours bien visibles, plus exactement des grottes reliées entre elles pas des escaliers taillés dan la roche calcaire, le tout dans un relief accidenté à l’extrême. La ligne de front passant par un vaste glacier, on y a également creusé dans la glace des tranchées maintenant disparues. À l’avant-dernière gare du téléphérique qui conduit à la Marmolada, un musée rassemble quantité de vestiges de guerre restitués par le glacier au fil des années.

À l’extrémité est de l’itinéraire, donc au début de notre randonnée, la Carinthie n’est pas tout à fait en Autriche. Cette région couvre la partie amont de la vallée de la Drave, affluent majeur du Danube qui sur 700 km sert en gros de frontière naturelle en l’Autriche et la Hongrie d’une part et l’ancienne Yougoslavie (Slovénie, Croatie, Serbie) d’autre part. À Villach, point départ de la balade, la Drave semble presque aussi imposante que la Seine à Paris. Isolée du reste de l’Autriche au nord par la chaîne des Tauern à près de 4000 m d’altitude et de l’Italie et de la Slovénie au sud par la chaîne des Alpes Carniques, la petite province de Carinthie se distingue depuis plus d’un siècle comme un bastion de conservatisme. Hostile à l’état plurinational des Habsbourg, son parlement demande contre toute logique géographique un rattachement à l’Allemagne à la fin de la première guerre mondiale. Plus récemment la Carinthie fait encore parler d’elle pour sa contribution à une éventuelle arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Autriche. Ce n’est pourtant pas l’impression donnée au voyageur-promeneur, qui retient surtout le respect de la minorité slovène bien visible et bien présente, l’ouverture au monde comme destination touristique avec un accueil particulièrement soigné. De fait, les hôtes de notre seule nuit en Carinthie, jeunes retraités britanniques déjà bien intégrés, ne cesseront de nous exprimer leur plaisir de s’être installé là.

Le lecteur désorienté par ce qui précède, exposé désordonné de nos impressions de voyage pourra se rapporter à la carte du parcours et au tableau des cols en fin d’article pour rétablir la route suivie dans sa chronologie.

les lacets du StelvioPour les aspects purement cyclistes, les divertissements ne manquent pas. Redouté d’avance, le passage du fameux et incontournable col du Stelvio nous laissera finalement un souvenir plutôt agréable. Les véhicules à 4 roues étant peu nombreux en ce début septembre, nous n’aurons à cohabiter (hormis les relativement nombreux cyclistes « de course ») qu’avec quelques hordes de motards germaniques venus là spécialement pour leur activité favorite, nous laissant par moments pauvres cyclistes comme égarés sur une piste de vitesse. Même si la route du Stelvio n’a pas tout à fait le charme des petites routes tranquilles, le décompte des 48 tournants dans un paysage de forêts puis d’alpages pour finir dans les rochers, avec les glaciers présents alentour tout au long de la montée, reste un moment inoubliable. Le franchissement de l’étroit sommet du col dans les effluves de saucisses-frites est l’occasion d’un moment d’ethnographie, laissant dubitatif devant l’appellation de parc national tant vantée par les panneaux dans le bas de la montée. À plus de 2800 m d’altitude, la station de ski qui occupe l’endroit ressemble à un musée vivant des plus remarquables réalisations architecturales de nos banlieues des années 1960-70, cubes de bétons posés aux endroits les plus visibles et exposés d’un relief presque entièrement minéral.

Ce qui précède ne doit pas décourager l’amateur de tourisme doux d’aller y exercer ses mollets. Le Stelvio fait partie des destinations à envisager au moins une fois dans sa vie, mais il vaut mieux être prévenu.

sur les routes du FrioulBien loin de là dans le Frioul près des frontières Slovène et Autrichienne, on trouve des endroits presque secrets qu’on aimerait garder que pour soi. Ainsi la route qui mène de Pontebba à Paluzza en passant par les cols de Cason di Lanza et Forcella di Lius, soit 40 km de bonheur. La route de montagne dessert quelques exploitations agricoles et a été asphaltée il y a quelques années mais sans nivellement ni élargissement. L’étroitesse de la chaussée comme les virages trop rapprochés la conservent inattractive pour les motocyclotouristes. Les passages en lacets, en corniche, en défilés s’y succèdent comme dans une sorte de composition artistique et toutes ces merveilles visuelles font oublier les sévères pourcentages de la route. Au milieu, au fond de la vallée du Chiarso, la ville endormie de Paularo, restée en dehors du développement touristique, ne manque pourtant pas de charme. Selon les données officielles la ville comptait plusieurs milliers d’habitants en 1950 mais en a perdu près de la moitié depuis.

Les Dolomites comptent une quantité de paysages de montagne parmi les plus beaux qui soient et nous nous abstiendrons donc ici d’en transformer l’énumération en litanie : Misurina et les Trois Cîmes de Lavaredo, puis les défilés de Sottoguda maintenant fermés à la circulation motorisée depuis la construction d’une nouvelle route, la chic station au décor kitsch de Canazei à l’extrémité du Val di Fassa. On peut regretter que la fréquentation touristique dénature quelque peu les sites les plus réputés. Ceci n’est pourtant pas un mal contre lequel on ne peut rien. Ainsi avons-nous découvert avec émerveillement l’Alpe di Siusi, vaste plateau herbeux autour de 1900 m d’altitude, d’une taille presque comparable à Paris intra-muros, suspendu au-dessus des vallées de Bolzano et du Val Gardena et bordé au sud et à l’est de massifs Dolomitiques. sur l’Alpe di SiusiLa notion de plateau y est en fait assez relative, le relief étant loin d’être plat. La beauté de l’endroit tient pour beaucoup à la politique adoptée de protection du paysage. En dehors du secteur agricole ancien et toujours actif, les seules constructions sont des hébergements de type hôtelier discrètement répartis dans les hameaux. Les résidences secondaires semblent bannies. La circulation motorisée est possible uniquement sur des routes en impasse et interdite pendant la journée, contrebalancée par un réseau de bus couvrant tout le territoire à partir de parcs de stationnement en fond de vallée avec une cadence et une amplitude de service digne des plus grande cités. Chaque arrêt de bus fournit une indication en temps réel de l’attente à prévoir. Pour le cycliste, l’endroit se mérite un peu. On peut conseiller de l’aborder par l’est où la dénivelée est moins importante. Au départ de St-Christina en Val Gardena, la route d’accès comprend moins de 3 km avec un pourcentage hors normes, suivie par une route forestière non revêtue assez facile avant d’atteindre le premier hameau et le réseau asphalté en impasse. En procédant de la sorte, on peut savourer la griserie de la descente côté ouest : 1400 m de dénivelée sur 16 km, sans autos sur les 10 premiers km, un pur bonheur.

La Suisse reste bien placée pour la protection des paysages. À 1800 m d’altitude, la large vallée à fond plat de l’Engadine ne manque pas d’attraits. Dans quelques années la véloroute achevée permettra de mieux la parcourir. Pour l’instant, celle-ci se perd par moments dans des chemins agricoles à la signalisation incertaine. Le col de l’Albula permet ensuite de rejoindre le reste du pays par quelques dizaines de km sur une route à faible circulation. Le paysage y bénéficie d’une protection renforcée depuis le classement de la voie ferrée au patrimoine mondial. Le spectacle des trains franchissant viaducs et tunnels entremêlés sur plusieurs étages ajoute une touche typiquement suisse.

En conclusion, beaucoup d’endroits restent à mieux explorer dans cette partie des Alpes et une nouvelle randonnée s’impose dans le futur.

descente du col de l’Albula


le parcours (nous conseillons de télécharger le fichier de données géographiques en bas de l’article et de l’afficher sur Google Earth)

nota : la section du parcours de couleur verte s’est faite en train


Principaux colsRégionProfil
Nassfeld (1530 m)Autriche (Carinthie)->Italie (Frioul)+950 m en 11 km
Cazon di Lanza (1552 m)Pontebba->Paularo (Italie, Frioul)+400 m en 9 km, puis +600 m en 5,5 km
Forcella di Lius (1076 m)Paularo->Paluzza (Frioul)+400 m en 4 km
Sella di Razzo (1739 m)Frioul (Comeglians)->Dolomites (val di Cadore)+500 m en 15 km, puis +700 m en 12 km
Tre Croci (1805 m)Dolomites (val di Cadore)-> Dolomites (Cortina)+700 m en 12 km
Tre Cime di Lavaredo (2300 m, en impasse hors itinéraire)Dolomites (Misurina)+500 m en 4 km
Giau (2236 m)Dolomites (Cortina)-> Dolomites (Marmolada)+300 m en 5 km (vers col de Falzarego), 3 km en descente puis +700 m en 8 km
Fedaia (2057 m)Dolomites (Marmolada)-> Dolomites (val di Fassa)+450 m en 9 km, puis +600 m en 5 km
Sella (2214 m)Dolomites (val di Fassa)->Dolomites (val Gardena, « Südtirol »)+750 m en 11 km
Stelvio (2758 m)Südtirol (val d’Adige)->Valtellina (Bormio)+400 m en 8 km, puis +1450 m en 17 km
Foscagno (2291 m) et Eira (2210 m)Valtellina->Livigno+950 m en 15 km, 5 km en descente, puis +150 m en 2 km
Livigno (2315 m) et Bernina (2328 m)Livigno->Suisse (Engadine)+150 m en 7 km, puis +300 m en 5 km, descente sur 4 km, puis +300 m en 3,5 km
Albula (2316 m)Engadine->Coire (vallée du Rhin)+550 m en 6 km, puis +100 m en 3 km
Dénivelée cumulée du parcours : +15500 m

Comment s’y rendre ?

Le choix de Villach, centre ferroviaire à la croisée des lignes Munich-Belgrade et Vienne-Venise vient naturellement pour accéder en train aux Alpes orientales. Il est possible de faire le voyage dans la journée (correspondance à Stuttgart par le TGV-est) ou par le train de nuit Paris-Munich. Nous avons retenu la deuxième option. La correspondance à Munich se fait sur le même quai pour une arrivée à Villach en début d’après-midi. La réservation est obligatoire sur les deux branches pour le vélo mais pas nécessaire pour le cycliste. Le train de nuit comporte des voitures-lits modernes pour un prix comparable à celui d’un hôtel abordable, avec petit-déjeuner servi à bord et des douches irréprochables. Le randonneur soucieux de son budget peut tenter une place assise sans réservation. Le billet de bout en bout en couchette revient à moins de 120 euros (été 2009) y compris le vélo pour peu qu’on s’y prenne à l’avance et qu’on veuille bien voyager hors-pointe. Sauf retard, la correspondance permet de petit-déjeuner à Munich, mais ainsi que nous le constaterons trop tard, il est plus avantageux d’attendre l’ouverture de la voiture-restaurant après le départ du train pour Villach. Le trajet Munich-Villach franchit les Alpes à l’heure du déjeuner en frôlant le parc national des Tauern (traversé dans un tunnel à 1200 m d’altitude). Pour moins de 20 euros on peut s’offrir un repas sans prétention mais tout à fait correct avec plat chaud, dessert et boisson, le tout servi à une vraie table munie d’une vraie nappe en textile, avec de vraies chaises, des couverts en dur, cependant que défile par la fenêtre un paysage de rêve. On reste perplexe sur la possibilité de rentabiliser un tel service, à moins qu’il ne s’agisse d’une dépense marketing des chemins de fer autrichiens pour nous faire préférer le train. Si cette dernière hypothèse est la bonne le succès est total. Nous recommandons vivement à ceux qui auront l’occasion de voyager sur cette ligne de ne pas attendre le dernier moment pour s’assurer d’avoir une table.

Pour le retour, la liaison Coire-Paris est rapide et bien fournie, mais depuis la mise en service du TGV-est il n’y a plus de relation directe qu’en période hivernale. On peut en profiter pour visiter Zurich en prolongeant l’escale obligatoire. Il existe d’autres possibilités avec correspondance à Bâle. La nécessité de compléter le billet TGV par un parcours Coire-Zurich avec vélo porte le prix du voyage à un niveau aussi élevé que celui du voyage aller pour une distance bien moindre. Enfin, il est conseillé d’apporter son casse-croûte plutôt que de risquer la voiture-bar du TGV.

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