Véloroute Paris-Londres : où en est-on ?

Boucle de la Seine de St-Denis à Argenteuil

Article paru dans Roue Libre n° 126 (mars-avril 2012).

La véloroute Paris-Londres dénommée l’Avenue verte sera à l’actualité cette année. Inscrite au schéma national des véloroutes et voies vertes, elle compte parmi les axes qui bénéficieraient en 2012 d’un financement spécial de l’État pour son jalonnement à jalonner en priorité si on en croit l’annonce du ministre des transports Thierry Mariani lors de la rencontre nationale du vélo le 26 janvier dernier. MDB participera au bruit médiatique par la grande balade du dimanche 24 juin avec une suite jusqu’à Londres dont nous espérons qu’elle attirera de nombreux cyclistes (voir Roue Libre n°124).

Les discours officiels vantent le plus souvent ce qui a été fait et passent sous silence ou minimisent les sections où la véloroute ne méritera pas son nom encore cette année. L’opération de jalonnement de bout en bout promise avant l’été 2012 aura le grand mérite de révéler tout ce qui n’est pas au point. Jalonner un itinéraire n’est pas anodin, et engage l’autorité qui s’y prête à ne baliser qu’un parcours offrant des garanties suffisantes de sécurité pour les cyclistes qui l’emprunteront. Cette obligation de sécurité pourra avoir comme conséquence de tracer des sections provisoires qu’un cycliste voyageur aguerri n’emprunterait pas, trouvant généralement dans l’existant de quoi esquiver les passages difficiles dans des conditions acceptables selon ses propres critères. Nous avons donc tenté de faire le point dans le présent dossier, en nous limitant aux plus sérieuses de ces difficultés, d’ailleurs peu nombreuses, sur la partie française du parcours entre Paris et Dieppe.

Une association « Avenue verte », portée principalement par le conseil général de Seine-Maritime, a été créée en 2009 pour unifier la véloroute. Cette association ne fait guère parler d’elle et ne dispose d’aucune adresse, site internet, porte-parole ou autre moyen de communication en direction du public. On trouve quelques informations sur cette association sur le site de l’association des départements et régions cyclables. L’Avenue verte rassemblerait aujourd’hui tous les conseils généraux des départements concernés à l’exception des Hauts-de-Seine et (depuis fin 2011) la région Île-de-France, ainsi que deux associations d’usagers impliquées dans les sections de la véloroute en Yvelines et Hauts-de-Seine, récemment admises comme membres associés. Outre le jalonnement qui distinguerait par des panneaux différents les sections provisoires de celles considérées comme définitives, l’Avenue verte aurait pour ambition de publier un topo-guide et d’ouvrir un site internet au printemps 2012. Toutefois, selon les informations que nous avons eues à l’heure ou nous écrivons ces lignes, le tracé n’est pas encore entièrement défini au moins jusqu’à la réunion prévue en mars 2012 et certaines sections en agglomération ne pourraient pas être balisées faute du concours de la municipalité concernée.

De la sortie de Paris…

La voie verte démarre au bassin de la Villette à Paris et suit le canal Saint-Denis déjà aménagé pour la promenade et cyclable. Hormis deux déviations provisoires à Aubervilliers, ce parcours est en site propre et avec les paysages qu’il offre et l’absence de nuisances automobiles son caractère de tracé définitif ne fait pas débat.

Le canal Saint-Denis fait partie du domaine de la ville de Paris et on pourrait dire que ce n’est qu’à la jonction du canal avec la Seine, à Saint-Denis, qu’on quitte vraiment la capitale.

Boucle de la Seine de St-Denis à Argenteuil

Boucle de la Seine de St-Denis à Argenteuil

Plus loin en aval à partir du pont d’Argenteuil la rive gauche de la Seine est aménagée en continu ou sur le point de l’être et sera également classée en itinéraire définitif. Entre les deux subsiste une zone grise sur une distance de 7 km mesurés en suivant le lit de la Seine. Le tracé dans cette section, qu’il soit provisoire ou définitif, n’est pas encore finalisé à l’heure où nous écrivons ces lignes (février 2012) dans l’attente d’une réunion de l’Avenue verte qui doit se tenir courant mars.

Quittant Saint-Denis, le cheminement le plus logique et aussi le plus plaisant pour le cycliste voyageur serait de suivre la rive droite de la Seine par le chemin de halage. C’est celui que nous préférons emprunter lors des balades du dimanche organisées par MDB. Hormis le point noir de l’écluse de la Briche que nous aborderons plus loin, le chemin de halage est aménagé et cyclable jusqu’à l’entrée d’Argenteuil. Passé le viaduc de l’A15 le chemin de halage n’est plus praticable mais on peut rejoindre la gare d’Argenteuil par des rues tranquilles. De la gare au pont d’Argenteuil, en l’absence d’aménagements et compte tenu de la circulation automobile la voirie ne peut être considérée comme un itinéraire cyclable sûr sur une distance de 800 m y compris la traversée de la Seine pour rejoindre la suite de la véloroute en rive gauche.

Au 19ème siècle les berges de la Seine à Argenteuil attiraient chaque dimanche la foule des parisiens qui venaient s’y divertir dans les guinguettes ou assister aux régates. Les jeux de l’eau et de la lumière en faisaient aussi un lieu très prisé des peintres impressionnistes : au total une centaine de toiles représentant le fleuve et ses berges nous ont été laissées par les plus fameux d’entre eux, Caillebotte, Boudin, Renoir, Manet, Sisley et Monet, le plus prolifique.

Berges de Seine à Argenteuil vues par Monet

Argenteuil : berges de Seine vues par Monet

Aujourd’hui, une voie rapide D311 construite dans les années 1960 occupe ces mêmes bords de Seine, coupant littéralement la ville du fleuve, et il serait bien audacieux d’y installer son chevalet.

Les berges de Seine au pont d’Argenteuil : la voie rapide et la base d’aviron, ultime vestige encore vivant des régates du 19ème siècle.

Voie rapide à Argenteuil

La situation n’est pourtant pas aussi désespérée qu’il n’y paraît, et la perspective d’un renouvellement urbain sur les terrains industriels qui bordent le fleuve jusqu’au pont de Bezons rend plausible une modification de la voie rapide et la réouverture d’une promenade le long de la Seine souhaités par la municipalité et soutenu par le département et la région et des élus de tous bords. Il n’est pas interdit d’espérer dans un avenir pas si lointain pouvoir se promener en continu au bord de l’eau et reconnaître les différents éléments du paysage représentés par les artistes. Une réduction de l’emprise de la voie rapide permise par sa transformation en boulevard urbain devrait ménager un espace suffisamment confortable pour le rétablissement du chemin de halage sur les quelques centaines de mètres les plus critiques. Un des points les plus durs sera la mise en souterrain au droit du centre ville, voulue ardemment en dépit de ses implications financières.

La voie verte serait dès aujourd’hui continue de Paris à Argenteuil si ne subsistait pas le point noir de l’écluse de la Briche.

Écluse de la Briche

Écluse de la Briche

Dernière des sept écluses du canal Saint-Denis et mettant en communication le canal et le fleuve, elle est la seule à ne pas avoir été munie d’un contournement cyclable. Pour moins de 100 mètres infranchissables on est privé d’un cheminement agréable bordé de grands arbres qui assurerait confortablement la continuité entre le canal Saint-Denis et le chemin de halage à Épinay-sur-Seine. Le canal et l’écluse occupent un espace restreint entre la cité historique de Saint-Denis et la Seine, où passent aussi un important faisceau de voies ferrées et l’ex-RN14. L’écluse est bordée d’un côté par la route et le fleuve, et de l’autre coté par le rû de la Vieille Mer, un cours d’eau dont le confluent avec la Seine se trouve à proximité. Le rû de la Vieille Mer qui réunit plusieurs petites rivières drainant la plaine de France est fortement artificialisé, entièrement recouvert depuis le parc départemental de la Courneuve à quelques kilomètres de là et ne réapparaissant qu’au niveau de l’écluse. Sauf à empiéter sur l’espace clos qui entoure l’écluse, un éventuel contournement cyclable devra se faire sur le lit de la rivière, d’environ 15 mètres de large à cet endroit. Cette dernière solution a été retenue pour une étude détaillée à réaliser en 2012, et on parle d’une réalisation effective en 2014. En attendant, sans passage autorisé par l’écluse le promeneur doit quitter le canal au niveau de la gare de Saint-Denis et faire un détour de plus d’1 km par des voies routières particulièrement hostiles aux cyclistes.

L’écluse de la Briche (à droite derrière l’arbre) et le rû de la Vieille Mer (à gauche) pris depuis le pont de l’ex-RN14 ; une passerelle à construire sur le lit de la rivière devrait concilier les besoins de la navigation fluviale et la continuité de la promenade.

Écluse de la Briche et ru de la Vieille Mer

En l’état de praticabilité de la rive droite telle que nous venons de le décrire, il est aujourd’hui acquis que l’itinéraire Paris-Londres passera au moins provisoirement par le port de Gennevilliers en rive gauche. Aucun des ponts sur la Seine n’est actuellement cyclable mais ceux de l’Île-St-Denis le seront prochainement avec la mise en service du tramway. Le département des Hauts-de-Seine privilégie l’utilisation de l’aménagement cyclable le long du tramway prolongé jusqu’à Gennevilliers, puis la route principale du port avant d’arriver au pont d’Argenteuil. Cette dernière dispose déjà de pistes cyclables de part et d’autre de la chaussée mais représente une ligne droite de plus de 2 km particulièrement monotone à travers les installations portuaires. Considérant que par le port transitent 3,5 millions de tonnes par an on peut imaginer la quantité de camions qui empruntent cette route en journée courante. En fin de semaine un grand nombre de ces poids lourds stationne en empiétant souvent sur la piste cyclable. Dans son ensemble, le cheminement par la rive gauche entre Saint-Denis et Colombes est loin de l’idée qu’on se fait d’une véloroute à caractère touristique.

Quelques photos de la route du port de Gennevilliers prises à des endroits différents un dimanche de février 2012.

Port de GennevilliersPort de GennevilliersPort de Gennevilliers

Piste cyclable de Gennevilliers à l’approche du pont d’Argenteuil : des détails à améliorer.

Gennevillers près du pont d'Argenteuil

…à l’arrivée à Dieppe…

S’il est assez aisé de créer rapidement des kilomètres de voie verte en rase campagne par conversion d’une voie ferrée déclassée, cela se complique aux abords des grandes villes. Ce cas typique se rencontre à l’arrivée à Dieppe. La voie verte s’arrête à Arques-la-Bataille à quelques kilomètres de la mer. Arques-la-Bataille a été bouleversée à la fin du 19ème siècle par l’installation de la société La Viscose, une usine qui fabriquait de la soie artificielle. Malgré les emprises industrielles et les cités ouvrières qui abritaient les milliers d’employés de l’usine, le lieu reste encore assez rural. Arques est également le nom du petit fleuve qui se forme à cet endroit au confluent de plusieurs rivières. Ici et jusqu’à Dieppe la voie ferrée n’est pas déclassée et reste utilisée pour des dessertes industrielles. Pour le cycliste voyageur, la seule liaison possible entre la voie verte déjà aménagée et le centre-ville de Dieppe (gare et ferry vers l’Angleterre) doit se faire par des voies ouvertes à la circulation générale.

Le conseil général de Seine-Maritime (CG76) souhaiterait prolonger la véloroute jusqu’au centre-ville de Dieppe en utilisant l’emprise ferroviaire qui serait réduite à une voie. Facile à mettre en œuvre d’un point de vue technique, cette solution pose le problème du déclassement partiel d’une voie ferrée en zone urbanisée qui pourrait hypothéquer un éventuel de redéveloppement pour des réseaux de transport en site propre, et les discussions menées avec Réseau ferré de France (RFF) depuis plusieurs années n’ont pas conduit à un accord concret à ce jour. Une étude réalisée en 2010 par le CETE, un organisme de l’État, a identifié des fuseaux possibles pour la réalisation d’une véloroute sans déclassement de la voie ferrée. Le plus convaincant de ceux-ci réalise une continuité par la jonction de chemins et de rues calmes passant le long de la voie ferrée dans les secteurs plus proches de Dieppe et nécessitant des acquisitions foncières sur 2,3 km dans le secteur proche de la voie verte existante, sur des parcelles privées appartenant à des particuliers à la transition entre les parcelles bâties et les parcelles agricoles. À cela s’ajoute la réalisation d’un passage souterrain sous le talus d’une rocade routière.

Le guide édité par le comité départemental du tourisme indique le jalonnement en 2012 d’un « parcours provisoire sur route pour cyclistes expérimentés » et propose une « option touristique, agréable mais avec une forte côte » qui emprunte une route locale passant sur les hauteurs du côté nord de la vallée de l’Arques par Neuville-lès-Dieppe et Martin-Église. Ni l’une ni l’autre de ces options ne répond aux exigences d’une véloroute, à savoir une déclivité inférieure à 6% et l’utilisation partagée de la chaussée uniquement sur des voies supportant un trafic de moins de 1000 véhicules par jour.

La véloroute à l’arrivée à Dieppe (extrait du guide édité par le comité départemental du tourisme de Seine-Maritime)

Arrivée à Dieppe

Faute de mieux notre parcours Paris-Londres empruntera donc cette année l’option par la vallée (route D154), plus courte et évitant les déclivités importantes du relief avoisinant. Il s’agit d’une route ancienne existant avant l’ère de l’automobile et la seule voie carrossable en fond de vallée avant que l’agglomération de Dieppe s’y étende, établie en bordure sud du lit majeur de la rivière au pied d’un relief qui forme barrière. La route traversait des zones d’habitations bordant la route qui sont maintenant réunies en une urbanisation peu dense mais quasi continue le long de la route, formant la commune de Rouxmesnil-Bouteilles. Depuis la réalisation de déviations routières passant au milieu de la vallée, l’axe n’est pas strictement nécessaire pour écouler la circulation en transit et on ne compte pratiquement aucun carrefour à feux sur les 5 km qui séparent Arques de l’entrée de Dieppe. Cependant, la situation à proximité immédiate d’une aire urbaine de quelque 50000 habitants et l’absence de planification d’ensemble ont conduit à une situation classique avec deux voies de circulation et du stationnement bilatéral le plus souvent discontinu et à cheval sur les trottoirs. Autrement dit, une occupation quasi-totale de l’espace par l’automobile, propre à dissuader les déplacements à pied aussi bien qu’à vélo.

Si un aménagement cyclable sécurisé sur la D154 paraît exclu sans restreindre drastiquement la possibilité de circuler en automobile, des aménagements de voirie réalisables à court terme permettraient d’adoucir les conditions du partage de la route avec les cyclistes. Selon les informations qui nous ont été communiquées par le CG76, à la suite de la mise en place d’une zone 30 dans le centre d’Arques-la-Bataille et la pose de coussins berlinois sur une autre section dans cette même commune on a pu constater une réduction de la vitesse moyenne allant de 22% à 50% et une réduction du trafic de poids lourds de 25% à 35% selon les sections. Il existe donc un potentiel d’amélioration à court terme de la cyclabilité de la liaison provisoire par des aménagements de voirie diminuant la vitesse moyenne et favorisant le report de la circulation en transit vers les autres voies routières. Rien n’a été fait pour l’instant sur la commune de Rouxmesnil-Bouteilles (soit environ 5 km de parcours) où on trouve en outre des îlots directionnels dont on sait combien ils rendent difficile la cohabitation entre vélos et autos même s’il incitent à la réduction de la vitesse.

Quelques kilomètres avant Dieppe : un panneau qu’on risque de voir encore un moment.

Fin de l'Avenue verte à Arques-la-Bataille

…en passant par Gisors.

Surprise agréable rencontrée lors de nos recherches faites pour écrire ce dossier, le point noir que nous mentionnions dans RL 124 à l’entrée de Gisors devrait être résorbé pour ce printemps 2012. Pour l’heure, la voie verte venant de Paris s’achève sur un chemin rural qui aboutissait jadis au centre de Gisors en suivant le cours de l’Epte et bute sur la rocade routière de contournement de Gisors sans aménagement pour traverser ou s’insérer dans la circulation. Côté ville, un talus anti-bruit a rompu la continuité du chemin mais un sentier informel s’est établi à travers le talus par des passages répétés de piétons et de véhicules à deux roues, créant une situation plutôt dangereuse. Dans le cadre d’un chantier de poursuite du contournement routier le département de l’Eure a entrepris la réalisation prochaine d’un giratoire et le rétablissement de la continuité du chemin rural et par suite de la véloroute, ce dont nous pouvons nous réjouir.

Nous espérons que ce tableau sombre en apparence ne vous dissuadera pas de participer à la grande balade cette année et à sa suite jusqu’à Londres. Rassurez-vous, notre route évitera tous les pièges que nous venons de décrire. L’écluse de la Briche sera exceptionnellement ouverte pour notre passage et nous emprunterons donc la rive droite de la Seine de Saint-Denis à Argenteuil pour prendre ensuite un raccourci par un itinéraire tranquille jusqu’au méandre bien connu des promeneurs de la Frette-sur-Seine à Conflans-Ste-Honorine, tout en restant dans le cadre des 100 km maximum à parcourir dans la journée. Nous pouvons d’ores et déjà vous assurer d’une balade sans soucis et pleine de beaux paysages à savourer, et ce jusqu’à Londres pour ceux et celles qui nous y suivront.

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