Aménageurs de voirie, concepteurs d’autos : les cyclistes se rebiffent

La mort au printemps 2007 d’Avril Machu, une cycliste habitant à
Saint-Quentin-en-Yvelines, à la suite de l’ouverture d’une portière
ayant provoquée sa chute, a conduit les associations de défense du
vélo comme moyen de déplacement au quotidien à porter devant les
tribunaux leur revendication d’une meilleure prise en compte des
cyclistes que ce soit par les aménageurs ou par les concepteurs de
véhicules.

C’est dans ce cadre qu’elle se sont portées partie civile dans le procès
qui oppose Christian Machu et ses enfants au Maire de Guyancourt ,
au Président de la communauté d’agglomération et au constructeur
automobile.

Même si les causes immédiates de l’accident sont claires – l’ouverture
en grand d’une portière ayant entraîné la chute fatale – , les parties
civiles ont souhaité poser au tribunal les questions suivantes :

 l’accident aurait-il eu lieu si la voirie avait été conçue en
prenant en compte les cyclistes ?

 aurait-il eu lieu également si, comme sur certains modèles, le
système d’ouverture de la portière avait comporté un cran de
sécurité imposant une ouverture en deux temps ?

Quelle que soit la réponse apportée par le juge, cette mise en cause des
aménageurs et des concepteurs de voiture marque un tournant dans
l’attitude des cyclistes face à un monde d’où ils avaient, depuis
longtemps, été bannis. Désormais, il faut que l’on sache dans ces
milieux professionnels comme chez les élus ou les responsables des
lois et règlement qu’en cas d’accident impliquant un cycliste ceux-ci
ne se résigneront plus à évoquer la fatalité.

Le procès s’est déroulé devant le tribunal correctionnel de Versailles le vendredi 4 septembre 2009. MDB et la FUBicy se sont portées parties civiles au procès

Un compte rendu de l’audience du 4 septembre 2009


L’aménageur de la voie en cause dans cet accident

C’est une première en France que de mettre ainsi en cause les concepteurs d’une voirie qui peut sembler par ailleurs bien banale. Il s’agit en effet d’une voie secondaire qui dessert des lotissements et est bordée par une crèche et une école, 600 m de long et 5 m de large (entre stationnement), bordée de deux bandes de stationnement le long de
trottoirs de 4 à 5 m de large.

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Un aménagement qui ne prend pas en compte les cyclistes

Les associations n’évoquent que pour mémoire le non respect de la loi sur l’air et de son article 20 qui impose la réalisation d’aménagements cyclables à l’occasion de chaque création ou réhabilitation de voirie, car la rue Jean Monet a été aménagée avant 1998. En revanche, les parties civiles affirment que les aménageurs avaient les moyens de savoir en 1992 – année de l’aménagement – que la cause de l’accident le plus
fréquent survenant aux cyclistes est l’ouverture inopinée de portière et qu’à ce titre ils se devaient de le prendre en compte dans une ville nouvelle où les déplacements à vélo ont été envisagés dès l’origine et un réseau de pistes cyclables tracé à cet effet.

Des nombreuses possibilités existent pour éviter que de tels accidents se produisent :

 élargissement des places de stationnement;

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 stationnement en épis;

 création d’une bande séparée du stationnement par un « zébra »;

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 adaptation de la largeur de la voie de façon à inciter la circulation des cyclistes à bonne distance du stationnement.

Une ligne blanche incongrue

Alors qu’on a pris en compte les piétons sur la rue Jean Monet, la mise en place d’une ligne continue sur cette rue de 5 m de large conduit les automobilistes voulant dépasser un vélo à enfreindre le code soit en chevauchant la ligne blanche, soit en dépassant en laissant moins
de 1,00 m de large comme l’exige le code de la rue.

L’effet pervers de cette disposition est de conduire le cycliste à serrer sur sa droite c’est-à-dire à s’exposer au choc contre une portière.

Un stationnement inadapté à la demande

Le stationnement en cause dans le cas de cet accident était en face de la crèche dans un endroit où il est évident que les rotations de véhicules se succèdent lors de la dépose ou de la reprise des enfants. Organisé hors voirie avec un principe de dépose minute et un stationnement spécifique pour le personnel, ou, au contraire, en pleine voie, imposant un ralentissement général et la mise en vigilance renforcée, le stationnement n’aurait pas été le piège qu’il est devenu pour Mme Machu.

Une semonce nécessaire

Il est temps de donner un avertissement aux aménageurs de l’agglomération car le même accident est susceptible de se reproduire avec des aménagements plus récents qui aggravent encore le problème puisque des bandes cyclables sont placées le long du stationnement

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rue d’Alembert à Montigny-le-Bretonneux

Le constructeur

Réserver les dispositions de sécurité aux voitures haut de gamme, n’est pas admissible de la part de professionnels qui se doivent de respecter le Code de la Route :


Article L 311-1 :

Les véhicules doivent être construits, commercialisés,
exploités, utilisés, entretenus et le cas échéant réparés de façon à
assurer la sécurité de tous les usagers de la route. Le fait de contrevenir à cette disposition du code est puni d’une amende de troisième classe alors
qu’ouvrir une portière imprudemment est passible d’une amende de 1er
classe.

Là encore il était de notoriété publique que les accidents causés par l’ouverture des portières touchent de nombreux deux-roues et les cyclistes en particulier.

C’est pour ce motif que les constructeurs ont équipés un certain nombre de modèle d’un ou de deux crans de sécurités qui imposent de doubler l’effort nécessaire lorsque le conducteur ou ses passagers ouvrent leur portière.

Rien de tel sur le modèle de voiture impliqué dans l’accident de madame Machu.

Les parties civiles sont, bien entendu, conscientes des impératifs industriels, mais elle ne peuvent se résoudre à admettre qu’on n’applique pas les principes de sécurité optimum et ce même si aucune norme ne vient en imposer la prise en compte.

Au travers de ce procès ils souhaitent porter un coup d’arrêt à cette négligence qui provoque chaque année un nombre trop important d’accidents évitables.



Mise à jour suite au délibéré du tribunal

Le verdict est tombé ce 6 novembre 2009 à la 6ème chambre correctionnelle de Versailles:

Le recours contre la communauté d’agglomération de Saint Quentin a été jugé irrecevable sans que les raisons aient été développées.
Les recours de Christian Machu contre le Maire de Guyancourt et contre la société Fiat ont eux été jugés recevables. Les deux parties mises en cause ont été relaxées.

Christian Machu a été condamné à verser 1800 euros à chacune d’elles.

Les associations ont été déboutées dans leur constitution de partie civile, et, par là exonérées de ces condamnations.

Christian Machu avait voulu que la mort de son épouse Avril « serve » à faire avancer la sécurité des cyclistes et pousse ainsi les responsables de la conception des véhicules et ceux de la voirie à mieux prendre en compte les usagers les plus fragiles. Si l’on pouvait craindre que les faits reprochés aux parties mises en cause ne soient, en l’espèce, pas suffisamment probants pour que la responsabilité de celles-ci soit effectivement mises en cause, on aurait pu, comme le procureur l’a admis lui même, juger légitime cette interrogation et cette demande de débat sur les conséquences de la conception des voies et des véhicules. En condamnant le plaignant, la Justice a décidé qu’il fallait punir cette tentative d’élargir la vision de l’accident au delà de la responsabilité directe de l’automobiliste et protéger les industriels et les aménageurs. Pour quelle raison les associations qui s’étaient portées parties civiles sur les mêmes motifs ont elles été écartées du débat et exemptées de la « punition » ? Nous ne le saurons pas. Leur intérêt à agir était pourtant largement aussi légitime que celui de Christian Machu puisqu’il s’agissait au travers de ce drame de faire avancer la réflexion pour en éviter de nouveaux. Solidaires de Christian Machu, elles ont décidé de partager sa condamnation en l’aidant financièrement.

Cet épisode judiciaire, le premier du genre, s’achève donc sur une défaite apparente.

Celle-ci n’est qu’apparente car il demeure riche d’enseignements sur la protection dont jouissent encore les institutions face aux usagers et à leurs défenseurs. Il nous apprend qu’il faudra à l’avenir rester vigilants, accumuler les preuves, multiplier les alertes, renforcer l’étude des accidents de façon à pouvoir un jour combattre cette réponse qui exonère les responsables: « cet aménagement ou ce véhicule étaient « en règle », vous ne pouvez pas nous accuser de négligence ».

Notre démarche n’est pas de vouloir renforcer les règles car la multiplication de celles-ci ne fait qu’exonérer de l’intelligence. Ce qui est criminel ce n’est pas forcément d’avoir fait un aménagement ou un véhicule qui a conduit, dans certaines circonstances, à un accident; non, ce qui est criminel c’est d’avoir négligé, tout au long du processus, de se poser la question.

Un jour sans doute, un magistrat, plus ouvert, en décidera-t-il ainsi. Ce jour là, notre société aura sans doute vraiment progressé.

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