La dernière promenade

dans les vignobles de Champagne

(récit paru dans Roue Libre n°96 – mars 2007)

Céline nous a fait parvenir le récit d’une balade un peu
particulière pour elle, qui aurait pu être sa dernière.

Si elle n’était manifestement pas partie dans le même esprit que les autres, elle en a accepté les conséquences et a rendu positive son expérience solitaire. Tout s’est ici bien terminé et cela reste finalement un beau souvenir pour tous. Cependant, toutes les balades MDB ne sont pas faites pour les «durs», beaucoup sont aussi des promenades à un rythme très raisonnable. À chacun de savoir choisir et de discuter avec l’organisateur avant le départ.

Un conseil toutefois, car perdre un groupe peut toujours arriver: avoir si possible un téléphone portable sur soi, noter le numéro de l’organisateur, et surtout ne pas oublier d’emporter la carte des endroits où vous pédalerez (indiquée dans le programme par les organisateurs)…

« Dimanche 3-12-06 : Le petit Morin, du marais de Saint-Gond au confluent… »

D’abord, je ne voulais pas la faire.

Rien que l’intitulé de la sortie, dans le magazine de MDB… Je savais que je n’aurais pas la force. Et puis dans la semaine, Philippe m’avait gentiment persuadée: « Mais si, il faut venir.. J’ai parlé à Jacques, je lui ai dit que le vélo, ça doit rester un plaisir… Nous serons quelques-uns à ne faire qu’une partie des 115 km prévus… »

Descendant du train à Épernay, je suis seule munie d’un vélo… Bizarre impression: me suis-je trompée de jour, de destination… ? À la gare de l’Est, c’est un cheminot qui m’avait indiqué ce train. D’une cabine, j’appelle l’organisateur « Venez, me dit-il, nous sommes au café, mais nous partons sous peu, vous n ‘aurez pas le temps d’en prendre un. ». dans les vignobles de ChampagneJe m’en moque. je n’aime pas le café… et suis soulagée de retrouver le groupe.

Assez rapidement, je comprends que ça ne plaisante pas. Christine, participante chevronnée, maugrée en pédalant: « C’est le genre de sortie où, si tu mets pied à terre, tu ne rejoins plus les autres… »
Un carrefour après Épernay, je choisis le parcours le plus doux. Nous sommes deux, les autres grimpent hardiment vers les coteaux. Très rapidement, je suis larguée l’autre cycliste a filé sans m’attendre. Le vent souffle si fort que même les descentes paraissent des côtes. Dans un bourg, je m’arrête pour me reposer, et je m’offre une tarte aux pommes, que j’engloutis en admirant la vallée : une mosaïque de parcelles de vignes, à l’infini…

J’arrive enfin à Vertus, et retrouve le groupe de tête, qui vient de visiter l’église – très belle – et s’apprête à repartir vers le lieu prévu pour le déjeuner – pas de temps à perdre.

Ils me signalent que plusieurs personnes ont renoncé, et que Philippe doit arriver par la départementale accompagné d’un autre participant. Je décide de les attendre, ne me sentant pas capable de tracer, vent debout, à un rythme soutenu.

Lorsque je comprends (combien de temps après ?) que personne ne viendra par cette foutue départementale, et que je suis en train de prendre froid, je retourne dans le bourg de Vertus. Là, un ravissant édicule sert de pissotière municipale, au bord d’un cours d’eau où s’ébattent des canards, et je mets mon pantalon imperméable, parce qu’en plus du vent glacial, il y a maintenant une pluie bien tenace… J’imagine la tempête en Bretagne…

pause à Vertus : il fait encore soleil...Larguée pour larguée, je m’en vais visiter l’église, très belle en effet, et qui se mire sur un plan d’eau. Je descends découvrir les trois cryptes, dont l’une est bâtie à l’emplacement où jaillissait à l’origine la source de la rivière…

Bien qu’à chaque page le descriptif remis aux participants conseille aux retardataires de retourner d’où ils viennent, je n’ai pas envie de m’avouer vaincue, et je reprends la route… Cela devient infernal : le vent, la pluie, pénétrante, insistante.., et les côtes, et les descentes où il faut tout autant donner du mollet…

Dans un village,je m’arrête sous l’abribus qui doit accueillir les écoliers en semaine…

Épuisée, trempée, clown au chapeau dégoulinant, aux gants et aux chaussures à tordre… – Je me tordrais de rire, si je me voyais!

J’étale sur le banc mon pique-nique. et commence à mordre dans un sandwich… Un petit homme passe en vélo devant moi. et me salue. Puis plus tard il revient, me lance « Bon appétit ! » et s’installe près de moi. Il me demande d’où je viens, ce que je fais là, où je vais… il a onze ans, il est un peu dépité parce que son cousin n’est pas là, et ne l’a pas prévenu qu’il allait en ville avec sa mère, faire des courses…

«- N’y a-t-il pas, dans le village, d’autres enfants de ton âge, qui pourraient jouer avec toi?

– Ils sont méchants, me dit-il.»

Je remarque le bandage qui enveloppe sa main.

«- Je suis tombé de vélo, dit-il en défaisant son pansement.

– Tu ne t’es pas raté, dis donc!

– Oui, mais c’est parce que j’ai une maladie incurable tu vois, partout où j’ai des articulations, ma peau s’en va. Alors quand je tombe de vélo, ça saigne beaucoup. on doit me bander.»

Il me dit le nom de cette maladie, nom que je m’empresse d’oublier. Évidemment, avec sa peau qui le quitte aux mains, aux coudes, aux genoux. aux pieds, j’imagine aisément les lazzis des autres enfants. Avec un peu de chance, lui, il est « le lépreux »… Il suffit de me souvenir des sarcasmes de mes chères camarades de pensionnat. Moi, j’étais grande et maigre… Pas besoin de me faire un dessin. Lui, on a dû le changer d’école… Et cependant j’ai devant moi un ange: un joli visage (par bonheur, cette immonde maladie a laissé ce visage intact), des yeux tantôt rieurs, tantôt graves, une voix gaie… qui dit des mots terribles : « On ne me guérira jamais. »

J’essaie de le rassurer, de lui dire que la recherche fait parfois des bonds étonnants, que la médecine progresse sans cesse…

«- Ma maladie est trop rare pour qu’on s’y intéresse…

– Mais toi-même, peut-être, un jour, tu trouveras.. .Qui sait?»

pique-nique dans un café à VillevenardPuis nous avons parlé de sa famille, de sa maman qui vit dans un autre village… Quand je suis repartie, il m’a indiqué la route de Villevenard.

Je m’y suis rendue, mais cela n’avait plus d’importance. La patronne du restaurant m’a dit qu’il n’y avait plus depuis longtemps de gare à Montmirail, et qu’il valait mieux, comme le disait le plan, retourner à Épernay.

À présent que le vent aurait pu m’être favorable, il était tombé, mais ce maudit crachin continuait à tremper la route, et la nuit tombait. Ma dynamo. dans ces conditions, se met au chômage technique. Je suis arrivée vers 18 heures à la gare d’Épemay. Moulue. Une heure d’attente avant le train, qui est arrivé bondé. Je me suis assise à même le sol, et j’ai plongé dans les Propos d’Alain.

Par un temps de chien, où seuls affrontaient les éléments des touristes étrangers venus déguster les divines petites bulles, j’ai rencontré un ange.

Ça valait la peine d’avoir participé à la dernière promenade.


Le point de vue de l’organisateur.

Enfin des nouvelles de Céline… que nous croyions perdue à jamais depuis cette mémorable journée. Comme elle était touchante au départ de cette « épreuve », avec ses cheveux retenus par une casquette Gavroche et son panier à provisions sur le porte-bagages.

L’annonce de la balade dans le programme de Roue Libre était pourtant bien claire, il s’agissait de faire sortir les « durs » qui trouvent nos balades habituellement trop tranquilles.

Qu’est-ce qui avait bien pu attirer les douze participants à cette courte journée de décembre, avec un kilométrage inhabituel et pas de gare de repli ? Dimanche matin 8 heures dans la nuit brumeuse à la gare de l’Est: les « durs » sont là. Quelques « moins durs » sont allés passer la nuit à Épernay. Retrouvailles au café du Progrès. Un bon rayon de soleil et l’arrivée de Céline nous font croire un moment à une belle journée de promenade bucolique, mais l’ambiance devient quelque peu différente alors que nous abordons les côtes du vignoble. Christine et Bertrand préfèrent finalement faire du tourisme du côté des caves de Champagne. Une première « sélection » s’opère à Vertus où une heure limite a été fixée pour que la balade se termine avant la nuit. Céline arrive légèrement hors délais et nous lui conseillons d’attendre Philippe et Jean-Claude qui ont annoncé leur arrivée prochaine.

Le paysage change alors que nous abordons les marais de Saint-Gond par un passage entre l’extrémité du plateau de Brie et la butte témoin du Mont-Aimé (où le château de la Reine Blanche fut un des premiers lieux du catharisme avant que celui-ci se déplace vers le sud). Le vent de face nous cloue littéralement sur place par moments, puis c’est la pluie. Les « durs » (Françoise, Robert, Serge, Xavier et Benoît) mènent le train alors que Claire s’efforce de rester dans ma roue pour s’abriter du vent. En dépit de tous les efforts, le début de la vallée du Petit-Morin, au bout des marais dominés par les derniers vignobles, ne sera atteint qu’à l’heure limite où il aurait en principe fallu repartir Mais le café du village viticole de Villevenard nous tend ses bras. De leur côté Philippe et Jean-Claude ont trouvé un bon restaurant et nous prient de ne pas les attendre. Plus de nouvelles de Céline qui ne répond pas au téléphone (le numéro retenu s’avèrera plus tard être celui de la cabine publique de la gare d’Épernay…).

arrivée des 'survivants' à la gare de la Ferté-sous-JouarreAh, que c’est bon de pique-niquer au chaud ! Nous y serions restés bien plus longtemps si Xavier (le dur des « durs ») n’avait lancé le défi de terminer la balade selon le programme. L’organisateur se devait d’accompagner jusqu’au bout, et deux autres courageux compléteront le dernier carré. C’est entendu, nous serons entre hommes pour abattre dans la pluie et le vent les 60 km qui restent à parcourir.

À la tombée du jour, enfin quelques bonnes nouvelles. La pluie et le vent cessent et puis nous recevons un appel d’Épernay: « Nous nous sommes tous retrouvés à la gare. L’ambiance est bonne mais on a perdu la dame au panier Nous avons demandé çà et là mais personne ne l’a vue. » Malgré plusieurs tentatives, le téléphone reste désespérément muet. Philippe se chargera d’enquêter à son retour à Paris.

Encore une dernière heure de randonnée sous la quasi pleine lune, puis les lumières de La Ferté-sous-Jouarre apparaissent et c’est bientôt l’heure du bilan. Encore une fois, ce sont les participants qui font la réussite d’une balade, quels que soient la difficulté du parcours et les aléas qu’on peut rencontrer. Merci à tous pour cette belle journée!


le parcours

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