Le test parisien des contresens cyclables

Article paru dans Roue Libre n°89.

À l’automne 2003 tout d’abord, sous un soleil radieux dans le quartier de la Tombe-Issoire (XIVe), puis au printemps 2004 sous une pluie battante autour de la rue des peupliers dans le XIIP, les militants de MDB rejoints par ceux de Réseau Vert et de Vélocité apposaient sous tous les panneaux de sens interdit des quartiers «tranquilles » concernés des panonceaux « sauf cyclistes » en carton.

A cette occasion, nous réclamions que tous ces sens interdits à la circulation soient ouverts aux cyclistes dans les deux sens. En janvier 2004, des cyclistes «masqués » poussèrent l’audace jusqu’à mettre en place des panonceaux homologués sous trois sens interdits condamnant des tronçons emblématiques: celui de la rue Saint-Honoré entre la rue du Louvre et la rue de l’Arbre-Sec, celui de la rue de la Verrerie (derrière le BHV) et celui de la rue d’Alembert dans le quartier «vert » TombeIssoire, cette rue étant alors le « chaînon manquant » permettant de traverser le quartier dans le sens nord-sud.

La Ville avait mis plus de huit jours pour se rendre compte de la présence des deux premiers (alertée par les félicitations d’un cycliste qui travaillait à la mairie !), et près d’un mois pour découvrir celui de la rue d’Alembert! C’est dire l’évidence de cette solution!

«Courage, monsieur DELANOË ! Passez outre l’opposition systématique de la préfecture de police. Dans plusieurs rues, cela relève de la cohérence », affirmions-nous alors à Libération.

Il aura fallu plus d’un an après ces mouvements de mauvaise humeur et l’appui d’élues motivées (Charlotte NENNER dans le Xe et Geneviève BELLENGER dans le XIVe qui firent voter un voeu au Conseil de Paris) pour qu’une timide avancée soit faite et que soit lancée début 2005 une «expérimentation» avec l’accord de la Préfecture.

Il n’est bon bec que de Paris!

Pourquoi faut-il à Paris une expérimentation pour un système existant
depuis longtemps en France (voir encadré Colombes) comme à l’étranger et recommandée par les documents techniques officiels du ministère ?

(Recommandation pour les aménagements cyclables [RAC] du CERTU.)

Sans doute parce que cette idée heurte de front la conviction profonde que seul le strict respect de la loi est garant de sécurité.

À MDB, nous savons bien que ce postulat n’est vrai qu’à la condition que les lois en question aient bien pour objet l’amélioration de la sécurité. Or, dans le cas du sens interdit, il ne s’agit que d’une mesure de police destinée à régler des problèmes de circulation automobile, et qui n’a de ce fait aucune raison de s’appliquer aux vélos.

Face à ces craintes, il eût sans doute été de bonne politique d’accompagner la mise en place de cette autorisation par une campagne de communication importante permettant de toucher les piétons qui peuvent être surpris en traversant une rue tranquille par un cycliste roulant à contresens, tant nous sommes tous conditionnés à ne penser qu’aux voitures lorsque nous marchons à pied.

Partant de là, une mesure très étendue aurait pu être mise en place, permettant une véritable estimation statistique des avantages ou inconvénients des contresens cyclables.

Six voies bizarrement choisies

 rue Saint-Honoré (Ier), entre la rue du Louvre et la rue de l’Arbre-Sec

 rue des Petites-Ecuries (Xème), de la rue d’Hauteville à la rue du FaubourgSaint-Denis;

 rue du Faubourg-Saint-Denis (Xème), de la rue des Petites-Ecuries à la rue de l’Echiquier

 rue Saint-André-des-Arts, (VIème), de la rue Mazet à la rue de l’Eperon

 rue d’Alembert (XIVème), de la rue du Couédic à la rue Rémy-Dumoncel

 rue Sarrette dans le XIV’ème(non réalisé).

Si les trois premières rues présentent incontestablement un intérêt, car elles permettent la continuité de véritables itinéraires, il n’en est pas de même de la rue Saint-André-des-Arts, qui est de fait essentiellement piétonne et débouche sur la rue Danton où le sens de circulation renvoie le cycliste d’où il vient; et encore moins de la rue d’Alembert qui, du fait d’une inversion de sens de la rue du Coëdic, n’est maintenant plus accessible sans emprunter un « vrai» sens interdit. Quant à la rue Sarrette, elle sera peut-être la première à être mise en service à l’issue de la phase d’expérimentation puisqu’elle n’a jamais été mise en place.

Quelques options de nos adhérents ou sympathisants

Nous avons voulu recueillir l’avis de cyclistes pratiquants et leur avons demandé leur avis par Internet. Malheureusement, compte tenu de la taille de l’échantillon de rués testé, peu d’entre vous nous ont répondu. En complément de l’évaluation officielle de l’observatoire des déplacements, voici tout de même quelques opinions…

DENIS affirme : «Ces aménagements de contresens cyclables fonctionnent très correctement. Ils sont, comme on s y attendait, pratiques et sûrs (voies étroites à trafic faible et lent, visibilité en face à face avec les autres véhicules).» Il précise cependant « La signalisation est incomplète. Il est indispensable de placer aussi des panonceaux SAUF CYCLISTES sous les panneaux qui les précèdent sur les voies adjacentes INTERDICTION (ou obligation) DE TOURNER A DROITE (OU A GAUCHE).»

A propos de celui de la rue des PetitesEcuries, de loin le plus fréquenté, BERNADETTE explique: «II demande une attention particulière quand la rue est étroite et le contresens non matérialisé (chacun doit veiller sur lui- même).»

« Je le fréquente une fois par semaine lors du parcours Folies-Bergères-place de la République », nous dit CHRISTINE. « Il est évidemment très pratique, même si régulièrement squatté par des voitures (et même dans la partie avec séparateur physique !). Malgré cet inconvénient — que l’on retrouve aussi sur les itinéraires pas à contresens — c’est un vrai plus et ça vaut mille fois mieux que le détour qu’il fallait faire avant.»

ARNAUD, qui n’a pas saisi la subtilité de la section « sans aménagement » [en effet, d’autres sections comportent des contresens avec aménagement, NDLRJ nous dit: « La piste cyclable à contresens est très pratique… Comme d’habitude l’aménagement a été fait à moitié. La piste n’est pas protégée partout (surtout vers la fin de la rue). Les pouvoirs publics attendent un accident grave pour finir l’aménagement ? »
BERNADETTE, elle, pose cette question : « … concernant la circulation des vélos de la rue du Faubourg-Saint-Denis vers Hauteville: doivent-ils rouler dans la rue comme des voitures ou plutôt dans les parties cyclables, ce que semblent attendre les voitures ? »

Convenant que le contresens est très pratique, HÉLÈNE nous assure : « La rue des Petites-Ecuries est terrible à emprunter… » à cause des voitures garées sur les pistes ; elle réclame : « Quand est-ce que la police compte verbaliser ? » non sans ajouter que cette attitude n’est pas l’apanage des contresens.

Et ALICE de conclure : « … l’image de David contre Goliath est réelle
il faut affronter lorsque la piste n’est pas vraiment signalée (ou alors seulement par une bande au sol qui s ‘estompe), des automobilistes aux sourcils froncés et au volant acerbe, qui pensent avoir affaire à des cyclistps hors la loi. Cependant BIEN SUR l’existence de ces pistes n ‘est que louable ! Peut-être serait-il judicieux de les matérialiser un peu mieux… ?
»

RUE DU FAUBOURG-SAINT-DENIS : SABINE rejoint BERNADETTE : « Je l’emprunte depuis la création du contresens. On se sent un peu comme David contre Goliath quand il y a plein de camions qui arrivent d’en face. Au début, je demandais souvent aux chauffeurs s’ils ne pouvaient pas serrer un peu plus à droite, maintenant ce reflexe semble être rentré dans les habitudes. Malheureusement, cela ne suffit pas toujours, les camions sont larges et s’il y en a un qui s’est mal garé sur l’aire de livraison, il ne me reste plus de place pour passer… » Mais PASCAL fait preuve de pédagogie : « Hier, j’ai un peu forcé les voitures à bien se ranger sur leur bord droit. Une camionnette n’a rien voulu savoir. Vu qu’il était à l’arrêt je lui ai expliqué qu’il y avait un contresens (en montrant la peinture au sol), et ils s’est excusé tout platement. »

RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS « Ma seule expérience de celui de la rue Saint-André-des-Arts fut un soir en semaine à 20 h 30. C’était très facile et calme, très agréable. »

RUE D’ALEMBERTJEAN-STÉPHANE : « Je passe quotidiennement par celui de la rue d’Alembert. […J Le contresens cyclable est donc court, mais permet la continuité de la rue pour les cyclistes. Il est très commode, la circulation est très faible, et le “séparateur boudin “en début et fin de bande permet de sécuriser le cycliste.

« Mais pour tout dire, j y vois très rarement des cyclistes. En fait, dans le sens autorisé aux cyclistes et interdit aux véhicules motorisés, je vois plus souvent autos, motos et scooters (qui bravant les 20 mètres d’interdit peuvent prendre la rue d’Alembert sur toute sa longueur et n ‘ont pas à faire de gros détours) que des cyclistes !
» Et JEAN confirme la rareté des cyclistes : « a priori c’est une bonne idée… je prêcherais volontiers pour la mise en contresens de la rue du Coëdic. » [Nous aussi et c’est semble-t-il prévu, NDLR.]

RUE SAINT-HONORÉ

CHRISTIAN nous dit: « Quel bonheur… de ne plus risquer une amende. » « Sans problème », renchérit ZARNOZ.

Conclusions

Le débat n’est pas totalement tranché parmi les cyclistes puisque si certains les plébiscitent: « Vive les contresens vélo. A généraliser comme en Belgique… », d’autres y sont hostiles, FLORENCE par exemple qui pourtant continue à les emprunter au quotidien (Saint-Honoré et Faubourg-Saint-Denis) : « Puisque la grande majorité des automobilistes ne semblent pas être au courant et se rabattent peu sur la droite pour laisser le passage aux cyclistes, je trouve donc ces dispositifs dangereux. »

« Ne surtout pas accepter des contresens non matérialisés au sol, c’est le meilleur moyen de provoquer des accidents pour lesquels les automobilistes plaideront à juste titre la bonne foi ! » nous affirme MICHEL qui par ailleurs réclame que l’on crée des pistes sur trottoir dans toutes les « grandes avenues ».

Mais les opinions restent majoritairement favorables : « … on se
sent finalement en assez bonne sécurité. Je souhaite en tout cas que cette mesure essentielle pour bien circuler à vélo se généralise le plus vite possible, même si elle comporte ses imperfections
», conclut DOMINIQUE.

Cela pourrait également
vous intéresser !

Cela pourrait également
vous intéresser !

Cela pourrait également
vous intéresser !