n°105 (septembre-octobre 2008)

CHUT !

Ça y est : c’est la rentrée. J’espère que les vacances auront été bénéfiques à tous et que le repos estival, qu’il ait été mérité ou non, aura fait retomber un énervement que je sentais de plus en plus présent en ville. À moins que ce ne soit moi qui, après une période chargée en actions et contrariétés (voir la lettre de la permanence et le dossier sur les couloirs de bus), aie perdu patience, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais malgré les belles déclarations de désir de mieux vivre ensemble et du nécessaire partage de la voirie, les rapports entre les différents usagers de la rue étaient récemment assez tendus.

Ces derniers mois, j’ai été abasourdie — dans tous les sens du terme — par l’usage quasi maladif du klaxon, de la sonnette ou du timbre. Que ce soit l’automobiliste en cinquième position dans une file arrêtée au feu rouge qui bondit sur son avertisseur dès que le feu passe au vert, le scootériste le doigt bloqué sur le klaxon en se faufilant entre les voitures, les camions et les vélos, ou le cycliste qui semble synchroniser sa sonnette avec la fréquence de ses tours de pédale, tous semblent considérer ce bouton sonneur comme une manette magique qui ferait disparaître les problèmes les problèmes étant tous ceux qui sont devant lui et qui ne vont pas assez vite à son gré. Comme s’il était légitime, parce que certains vous agacent, de casser les oreilles de tous les autres. C’est d’autant plus égoïste qu’on n’est pas tous égaux face à l’agression sonore. L’automobiliste est confortablement confiné dans son habitacle climatisé, le scootériste a les oreilles engoncées dans son casque, mais le cycliste, lui, en prend plein les tympans.

Quant au piéton qui n’est muni que de son timbre vocal, il semble n’attendre qu’une occasion de s’en servir pour nous invectiver. Vous n’avez jamais observé un piéton traversant sans rien regarder d’autre que le côté opposé de la rue et qui, voyant un cycliste arriver, jette enfin un œil sur la figurine piéton, n’espérant qu’une chose que le petit bonhomme soit vert pour pouvoir nous engueuler ? Ah ! quelle déconvenue quand il se rend compte qu’il n’aurait pas dû et qu’il est dans son tort !

Mais qu’est-ce qu’ils ont tous, à vouloir nier l’autre et sa légitimité à circuler en ville ? Qu’est-ce que c’est que cette façon de commencer à crier avant même d’avoir compris ce qui se passe : que le carrefour est bloqué, que les camions poubelles font leur collecte, que le camion est en train de livrer un magasin dont ces mêmes râleurs sont bien contents qu’il dispose de ce dont ils ont besoin ou envie. En plus, ce qui est sidérant, c’est que la scène se reproduit parfois à quelques jours d’intervalle au même endroit et avec les mêmes acteurs. Qui leur a fait croire que conduire en ville, c’est avoir le droit d’arriver avant les autres ? C’est quoi, cet esprit de compétition olympique à la noix ?

Est-ce le résultat d’une lecture et d’un enseignement primaires des règles du code de la route, par lesquels on ne retient que les devoirs qu’il impose aux autres et les droits qu’il nous confère ? Le lent et laborieux chemin vers le code de la rue pourra-t-il être capable de remplacer un jour la suprématie de la signalisation par l’usage de ce que tout conducteur possède naturellement: ses yeux et son cerveau ?

Le feu est vert, je dois passer ; le feu est rouge, les autres ne doivent pas passer. J’ai un moteur, je dois aller vite, même si c’est sur quelques mètres. Je suis faible et fragile, tout doit se figer autour de moi. Je vais plus vite, je dois pouvoir doubler, rien ni personne ne doit se mettre sur mon passage. Pouêt, pouêt, pouêt !

Je rêve que l’habitacle des voitures ainsi que les casques de motos soient munis d’un amplificateur et de haut-parleurs, ainsi, quand ils klaxonneraient, ils auraient un juste retour de leur agressivité inutile et n’ajouteraient pas à la pollution sonore de leur moteur celle de leur irrespect.

Parmi les avantages du vélo, nous revendiquons le fait qu’il ne pollue pas. Cyclistes, ne cassons pas cette image, continuons à être à l’avant-garde, détendons-nous, sourions et restons silencieux. Chut…

Kiki Lambert

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