La saison des prunes
250%. Sans doute fallait-il donner un signe d’apaisement aux centaines d’automobilistes coincés dans les bouchons de ce chaud début d’août. Sans doute Le Figaro, jamais en reste pour retranscrire les déclarations en provenance de la préfecture de police, avait-il du mal à remplir ses colonnes pendant la même période. Sans doute la chaleur a-t-elle découragé toute analyse un tant soit peu critique de ce scoop, bientôt repris par les autres médias, soucieux de ramer dans le sens du courant. Toujours est-il que ce chiffre a claqué comme l’étendard victorieux de la répression sans faille contre ces salauds de cyclistes plus 250 % de contraventions émises à leur encontre! Enfin l’État de droit reprenait pied. Il était temps!
Pensez que, non contents de bafouer au quotidien les lois de la République, ces mauvais citoyens avaient le toupet, au même moment, de rouler tranquillement dans la campagne alors que les bons Français s’acharnaient à remplir les caisses de la TIPP tout en réchauffant consciencieusement l’atmosphère torride au volant de leurs «boîtes en fer». Cela ne pouvait plus durer et cette nouvelle rafraîchissante a dû rasséréner bien des citoyens appliqués à ne pas revenir à l’âge de pierre.
C’est vrai, quoi! Depuis que Vélib’ a fait sombrer dans l’inconscience tout un tas de ces personnages faibles, soucieux de leur santé et de l’environnement, désireux d’être à l’heure, ou goûtant simplement au plaisir fabuleux de cet équilibre précaire et magique du vélo, les automobilistes, baignant dans leur jus et respirant à pleins poumons le pot d’échappement de leurs congénères n’en pouvaient plus de voir ces saltimbanques s’affranchir des bouchons comme des feux de circulation. Quelle impudence! Quelle imprudence aussi! Un peu plus et ils risquaient l’accident susceptible de rayer — voire de cabosser — leur joli tas de tôle.
C’est à ces discours qu’on s’attendait en allant répondre à RTL, puis à iTV et enfin à TF1 en cette deuxième semaine d’août pendant laquelle la FUBicy n’avait que Kiki à envoyer au combat.
Face à cette opinion profondément ancrée que le code de la route est la panacée, le choix a été fait de centrer le message sur la seule vraie valeur : le respect des autres avant le respect du code.
Ce sont les piétons qui ont appelé la «libre antenne». Tous évidemment favorables au vélo (qu’ils ont pratiqué dans le temps), ils ont repris en chœur l’antienne du vélo sur les trottoirs et de l’accident qu’ils ont failli avoir — ou que la belle-soeur de la cousine de leur voisin a eu avec un cycliste sans vergogne.
Un policier lillois nous fit même le plaisir d’affirmer que les sanctions pour les cyclistes ne sont pas les mêmes que pour les automobilistes grâce à une mansuétude inadmissible… Bienheureux cyclistes lillois qui bénéficient déjà de la proportionnalité des peines! Ce fut l’occasion de rappeler cette revendication de la FUBicy, portée depuis longtemps par MDB.
L’animateur lui-même sembla finalement plutôt satisfait de cette approche, défendant la cause face à quelques auditeurs vindicatifs et reprenant l’idée que ce chiffre de 250 % a pour signification essentielle que l’objectif fixé par le préfet avait été tenu : en concentrant son effort sur les cyclistes, on peut multiplier par 3,5 le nombre de verbalisations. De même, demain, obtiendrait-on la même progression pour d’autres usagers si on se fixait un autre objectif.
Allez! bonne rentrée tout de même et n’oubliez pas, si par hasard vous faisiez partie de ces infractionnistes patentés, qu’il vaut mieux-militer pour faire changer la loi que l’enfreindre délibérément, qu’il faut ralentir suffisamment pour être sûr de ne gêner personne (et d’appliquer vraiment la notion de «cédez-le-passage» que nous réclamons), et qu’il est aussi prudent de vérifier qu’il n’y a pas une voiture de police derrière vous!
Pierre Toulouse
