Mieux se Déplacer à Bicyclette

La sécurité des cyclistes à Paris

Sécurité

Par Pierre TOULOUSE, en partenariat avecdossier65_6.gif

Non ! Faire du vélo à Paris n’est pas dangereux ! En tout cas, ça l’est beaucoup moins que pratiquer le deux-roues motorisé… Les chiffres sont là pour le démontrer : 10 % des accidents de deux-roues à Paris concernent les vélos. Or les deux-roues à moteur ne sont pas 9 fois plus nombreux !

Dire que le vélo n’est pas dangereux ne signifie pas pour autant que l’on peut faire n’importe quoi. Les 5 cyclistes tués de l’année 2001 viennent tristement nous rappeler à l’ordre. Soucieuse de ce chiffre (le plus mauvais depuis que l’on suit ces statistiques sur Paris), la rédaction de Roue Libre a voulu informer ses lecteurs sur ce sujet.

Nous avons interrogé les services de la Ville de Paris, qui nous ont fourni une partie importante des données qui vont suivre (un document très intéressant produit par l’observatoire des déplacements est disponible au local du MDB : une analyse des accidents impliquant des vélos en 1997). Mais ces chiffres et leur évolution sont évidemment liés au nombre d’usagers de la bicyclette. Le décompte des déplacements à vélo est un des points faibles de l’observatoire, qui se contente de compter régulièrement les cyclistes empruntant certains aménagements. Cette approche rend impossible la quantification du risque relatif lié aux différents modes.

Qu’on se contente alors de cette évidence : la gravité des blessures des victimes d’accidents de la circulation est en grande partie proportionnelle à la vitesse propre des véhicules impliqués. La plupart des chocs mortels ont lieu avec des véhicules roulant à plus de 30 km/h. Cette vitesse étant la limite supérieure couramment pratiquée par la plupart des cyclistes urbains, il est naturel que le vélo, pourtant fragile, soit moins dangereux que les modes motorisés.

Au-delà des chiffres, pour sensibiliser les lecteurs de Roue Libre, il nous a semblé intéressant de développer les aspects qualitatifs des accidents. Aussi, au travers des enquêtes REAGIR (voir encadré) auxquelles participent certains militants du MDB, nous avons choisi de relater sommairement les circonstances d’un certain nombre d’accidents mortels survenus au cours des dix dernières années. Ces données sont dévoilées avec l’aval de la Préfecture de Police, qui a également accepté de payer l’impression de ce numéro de Roue Libre, dans le cadre du Programme Départemental d’Actions de Sécurité Routière financé par la Sécurité Routière. Puisse cet article servir de viatique à nos lecteurs !

Les chiffres

Accidents dans Paris entre 1990 et 2000

1990
Accidents[[Ayant entraîné l’hospitalisation d’au moins une victime.]] ayant impliqué au moins un cycliste 222 251 230 258 356 533 502 520 544 555 502
Victimes cyclistes 201 214 204 237 316 461 444 456 478 504 451
Cyclistes blessés graves[[Ayant subi une hospitalisation de plus de 6 jours.]] 13 16 13 13 15 29 21 25 26 24 17
Cyclistes tués[[Victime décédée dans les 6 jours (pour l’ensemble des catégories d’usagers, cette définition sous-estime d’environ 8 % le nombre définitif de victimes).]] 2 2 2 0 3 1 1 2 2 3 2

Le nombre des accidents impliquant des vélos a fortement augmenté entre 1994 et 1995. Cette augmentation correspond à un tournant dans la pratique du vélo à Paris, qui ne cesse de se développer depuis – en partie grâce au Plan vélo mis en place par la Ville. La grève de fin 1995 explique une part de cette augmentation des accidents. Ainsi, pendant la seule période de la grève des transports (du 24 novembre au 18 décembre 1995), le nombre de victimes à vélo a été de 109, alors qu’il était de 15 pour la même période de l’année précédente.

Mais depuis cette date, le nombre total d’accidents est relativement stable, alors que le nombre de vélos augmente.

ATTENTION ! Les cyclistes ne sont pas toujours victimes des accidents : en 1997, sur les 520 accidents ayant impliqué un vélo, on a décompté 456 victimes cyclistes (80 %) et 111 autres victimes, dont 82 piétons et 23 deux-roues motorisés.

Répartition temporelle (pour 1997)

De novembre à avril : de 20 à 40 accidents par mois. De mai à octobre : de 50 à 70 accidents par mois. Bref, sortez vos vélo l’hiver !

En semaine, le samedi et surtout le dimanche connaissent moins d’accidents que les autres jours. Bref, allez à la messe à vélo !

Comme pour toutes les catégories d’accidents, c’est entre 16 et 18 heures que l’on compte le plus d’accidents (près de 2 fois plus qu’à l’heure de pointe du matin). Bref, passez-vous la tête sous l’eau avant de quitter votre bureau !

Les cyclistes accidentés

Les trois quarts des accidentés sont des hommes (mais une enquête de 1998 montre qu’ils représentent 67 % des usagers vélo). Les trois quarts aussi habitent Paris. Bref, vivent les femmes de banlieue !

Les blessures

  • Membres inférieurs (jambes, genoux, chevilles) : 27 %
  • Membres supérieurs (bras, coudes, poignets, mains) : 22 %
  • Crâne : 15 %
  • Visage : 13 %

Les principales causes[[Du point de vue du code de la route, les cyclistes sont jugés dans 47 % des cas responsables de l’accident (55 % dans les carrefours).]]

  • 15 % des accidents sont liés à des changements de direction d’autres usagers.
  • 13 % sont liés à des ouvertures de portières.
  • 10 % sont dus à des cyclistes heurtant d’autres véhicules par l’arrière.
  • 8 % sont liés à des feux rouges grillés par les cyclistes.
  • 8 % sont dus à des piétons traversant n’importe comment.
  • 7 % sont liés à des heurts de cyclistes par l’arrière.
  • 7 % sont liés à des changements de direction.

Les accidents[[Ayant entraîné l’hospitalisation d’au moins une victime.]] dans la Région parisienne

1997
Victimes cyclistes 1374 1306 1385 1154
Cyclistes blessés graves[[Ayant subi une hospitalisation de plus de 6 jours.]] 160 126 135 83
Cyclistes tués[[Victime décédée dans les 6 jours (pour l’ensemble des catégories d’usagers, cette définition sous-estime d’environ 8 % le nombre définitif de victimes).]] 21 24 19 28

En complément : en Seine-Saint-Denis, on dénombrait 2 tués en 1998 et 3 en 1999 !

On se rend compte que la situation parisienne est assez favorable puisque qu’elle ne compte en moyenne que 2 à 3 cyclistes tués pour une proportion importante de cyclistes.

dossier65_1.gifC’est à ce carrefour entre la rue de Maubeuge et la rue Condorcet que Sylvie a trouvé la mort, le 3 mai 1994.

Le programme “REAGIR”

En 1983, les premières mesures visant à améliorer la sécurité routière sont prises depuis dix ans. Les statistiques stagnent. Il est temps de porter le débat auprès des acteurs locaux : élus, services techniques, forces de l’ordre, services de santé…

À cette fin, le Délégué interministériel de l’époque, Pierre Mayet, imagine de renforcer la sensibilisation des acteurs locaux en les poussant à améliorer ensemble leurs connaissances des accidents. Il lance pour cela le programme REAGIR.

REAGIR, cela signifie : “Réagir par des Enquêtes sur les Accidents Graves et des Initiatives pour y Remédier”. Les principes en sont les suivants. Lorsque survient un accident grave (mortel le plus souvent), le Préfet désigne une commission d’enquête qui comprend différents acteurs de la sécurité routière : police ou gendarmerie, DDE ou services techniques des villes, SAMU ou pompiers, auto-écoles, associations de défense des usagers ou dont l’objet est la défense de la sécurité routière (Prévention Routière, Ligue contre la violence routière…). Cette commission va se réunir plusieurs fois, elle entend les différents impliqués ou leur entourage, elle examine attentivement les lieux et les photos et développe une analyse dont le terme est la mise en évidence de l’ensemble des facteurs de l’accident. À ces facteurs, la commission propose des remèdes.

La base de données nationale REAGIR contient aujourd’hui plus de 30 000 enquêtes qui sont consultables sur le micro-ordinateur de la préfecture.

Ne fantasmez pas ! REAGIR, c’est une auberge espagnole ! On y trouve d’autant plus de choses qu’on est ouvert, que l’on produit des efforts et que l’on ne s’attache pas aux nombreuses déconvenues qu’une telle organisation porte en germe : sentiment d’impuissance (mais n’est-on jamais plus impuissant que lorsque l’on ne se donne pas à soi-même les moyens d’agir ?), acteurs bornés (mais ne sommes-nous pas nous-mêmes des “vélopathes” ?), enquêtes bâclées (à nous de travailler pour qu’elles soient riches).

Si vous êtes intéressé, n’hésitez pas, contactez-moi[[Pierre Toulouse, 01 40 81 21 93.]]. Aujourd’hui, nous sommes deux membres du MDB à faire partie de ce programme. Rejoignez-nous !

Les accidents mortels à Paris entre 1996 et 2001

Date et heure Autre impliqué Sexe/ âge cycliste Lieu Circonstances
22/10/2001, 13h10 Poids lourd Femme, jeune Carrefour av. Daumesnil/bd de la Guyane, XIIe La cycliste sort de la voie cyclable et s’insère devant un poids lourd qui démarre mais ne la voit pas.
11/10/2001, 11h30 Poids lourd Femme, 21 ans Carrefour bd St-Michel/rue du Sommerard, Ve La cycliste sort de la rue du Sommerard, tourne à droite vers St-Germain, n’emprunte pas la voie bus et se fait accrocher par le poids lourd descendant le bd St-Michel. Il ne l’avait pas vue.
4/08/2001, 9h35 Seul Homme, 39 ans Face au 5, av. Niel, XVIIe Le cycliste furieux contre un automobiliste se lance à sa poursuite et chute seul.
13/06/2001, 8h05 Voiture Homme, 60 ans Bd de Ménilmontant, entre la rue des Nanettes et la rue des Bluets, XIe Le cycliste sort brutalement et apparemment sans raison de la piste cyclable, juste sous le nez d’une voiture qui ne peut l’éviter.
12/04/2001, 11h41 Poids lourd Homme, 65 ans 165, rue du Faubourg-St-Antoine, XIIe Pas d’informations.
29/12/2000, 7h50 Voiture Homme, 24 ans 92, av. de Clichy, XVIIe Le cycliste, qui traverse la rue, est heurté latéralement par une voiture et projeté sous un véhicule arrivant en sens inverse.
15/02/2000, 19h55 Camionnette Homme, 62 ans Av. Joseph-Bouvard, VIIe De nuit, circulant à droite, le cycliste est heurté par l’arrière par une camionnette qui ne l’a pas vu.
9/09/1999, 18h20 Piéton Homme, 18 ans Carrefour Vouillé/Labrouste Sur le passage piétons, le cycliste renverse un vieux monsieur (72 ans). Ce dernier décède.
19/08/1999, 17h40 Voiture + camionnette Homme, 52 ans Quai de la Mégisserie, juste avant le Châtelet, IVe Le vélo circulant sur la voie de gauche est surpris par une portière qui s’ouvre devant lui, chute et est heurté par une camionnette qui le suit.
01/04/1999, 4h45 Voiture Homme, 61 ans Bd Masséna entre porte d’Ivry et quai d’Ivry, XIIe Le vélo qui circule à droite est heurté par l’arrière par une voiture qui double d’autres véhicules par la droite.
26/03/1999, 15h00 Camionnette Homme, 20 ans Angle av. Daumesnil route du Polygone (Bois de Vincennes) Le cycliste arrive de l’avenue du Polygone et tourne à droite vers le château. Il est heurté par l’arrière par une camionnette.
20/06/1998, 20h15 Seul Homme, 34 ans Route de Bourbon, bois de Vincennes Accident cyclo-sportif : le cycliste circulait à bonne allure (30 km/h), sans casque, et sa pédale a heurté le trottoir.
28/04/1998, 11h30 Poids lourd Femme, 24 ans St-Marcel/Gobelins, Ve Pas d’informations.
19/11/1997, 16h45 Voiture * Avenue de Tremblay, bois de Vincennes Le conducteur de la Porsche, ivre, roule vite sous la pluie. Il dépasse à droite une voiture qui double le cycliste (casqué) et le heurte.
20/08/1997, 10h00 Poids lourd Enfant, 7 ans Avenue Daumesnil/rue Abel Le cycliste à VTT, circulant sur la piste cyclable, est heurté par un poids lourd tournant à droite au carrefour.
22/10/1996, 07h00 Poids lourd Femme, 24 ans Angle rue de Rome/place Gabriel-Péri, IXe Le vélo à l’avant droit du poids lourd démarre au feu. Le poids lourd tourne à droite.
06/09/1996, 01h00 Seul Homme, 32 ans Avenue Gambetta Le cycliste est déséquilibré par un nid-de-poule.
07/06/1996, 14h30 Engin de chantier Bébé, 18 mois Espace piétonnier dans le bois de Vincennes La cycliste marche en poussant son vélo, transportant l’enfant sanglé sur son siège. Un “manitou” recule sans les voir et passe sur le vélo.
08/11/1995, 19h05 Poids lourd Homme, 32 ans 21, rue de Wattignies, XIIe L’automobiliste garé en double file ouvre sa portière. Le cycliste, qui n’était pas éclairé, tombe sur la tête.
24/09/1995, 15h00 Piéton Femme, 64 ans Bd Ménilmontant, XXe La piétonne est heurtée sur un passage piétons par deux cyclistes (sur un seul vélo) qui s’enfuient à pied.
17/07/1994, 9h30 Cycliste Homme, 65 ans Route du Trianon, bois de Boulogne Accident cyclo-sportif.
03/05/1994, 10h25 Poids lourd Femme, 38 ans 6, rue Condorcet /rue d’Abbeville, IXe Le poids lourd tourne à droite après son démarrage au feu et ne voit pas la cycliste sur son avant droit.
20/12/1992, 13h50 2 voitures Femme, 25 ans Rue de Cambrai, XIXe Pas d’informations.
29/07/1992, 23h30 Moto et piéton Homme, âgé Bd Montparnasse, avant rue du Cherche-Midi Le motocycliste double à droite, heurte le piéton qui traversait hors du passage et la cycliste (22 ans). Elle est blessée, le piéton est tué.
07/07/1992, 14h10 * * Av. Porte d’Orléans/bd Romain-Rolland, XIVe Pas d’informations.
04/08/1991, 7h05 Voiture Homme, 55 ans Entrée souterrain Porte-d’Italie bd Kellerman, XIIIe L’automobiliste perd le contrôle dans le souterrain, heurte les parois ; projeté à gauche, il heurte le cycliste qui allait emprunter les bretelles.
14/05/1991, 14h28 Poids lourd Homme, 22 ans Angle bd Rich.-Lenoir/rue St-Sébastien, XIe Le cycliste est heurté par l’avant d’un poids lourd qui démarre au moment où il se faufilait.

* Pas d’informations.

Histoires d’accidents

  • Il est 14 h 30, ce 14 mai 1991, lorsque Stéphane, un jeune étudiant en droit de 21 ans, s’engage boulevard Voltaire sur son super vélo de course. Stéphane est un sportif. Il n’a découvert le vélo que depuis deux ans, mais il s’est passionné pour cet engin. La preuve : il a adhéré aux “cyclistes super motivés du XIIIe” ! Il a un vélo haut de gamme, fait sur mesure, qu’il entretient avec un soin jaloux ! Au feu du carrefour Richard-Lenoir, Stéphane remonte, sur la gauche, la file de voitures arrêtées. La circulation est gênée par le marché qui s’achève sur le boulevard Richard-Lenoir. Stéphane veut s’engager vers la rue Saint-Sébastien, sur sa droite. Il se faufile entre les voitures arrêtées et passe devant le nez d’un poids lourd. Le chauffeur de ce dernier redémarre sans apercevoir Stéphane…
  • Dominique est architecte, il a 32 ans. Le 8 novembre 1995, à 19 heures, il fait nuit. Dominique vient de Montreuil et rentre chez lui, dans le XIIIe, sur son vieux vélo : guidon plat, équipé d’un porteur avant, il n’a pas d’éclairage. Claude est plombier et travaille sur un chantier en banlieue. A la fin de sa journée, il est appelé pour un dépannage dans un hôtel rue de Wattignies, près de Bercy. Il doit encore rentrer chez lui, mais finit par accepter “pour rendre service”. Arrivé devant l’hôtel, il ne trouve pas de place de stationnement et s’arrête en double file. Il ouvre sa portière sans précaution particulière. Il ressent un choc léger… Dominique gît tout près… Il mourra le lendemain d’un trauma crânien. Ses organes vitaux seront prélevés pour sauver d’autres vies.
  • Ilane a 7 ans. Ses parents sont séparés. Il habite chez sa mère, rue de Wattignies. Ce matin du 20 août 1997, il est en vacances avec son père Ashène, domicilié rue Pierre-de-Montreuil, à Montreuil. C’est un cycliste quotidien ! Pendant les vacances, Ashène et Ilane font du vélo ensemble deux fois par semaine, souvent dans le bois de Vincennes, mais aussi à Paris. Le père suit en général le fiston d’assez près pour qu’ils puissent converser. Il lui a appris à respecter la signalisation. Ce jour-là, il fait beau, Ashène décide d’aller au Champ-de-Mars assister aux préparatifs en cours pour la venue du Pape. L’itinéraire qu’il avait prévu était le suivant : Daumesnil, Bastille, Rivoli, Concorde, les Quais. Arrivés au débouché de la piste cyclable en site propre de l’avenue Daumesnil, les deux cyclistes marquent l’arrêt au feu puis redémarrent. Un poids lourd de 6,5 tonnes appartenant à une société de courses dont le siège est rue Abel rentre de Roissy. Connaissant les lieux et sachant que les feux sont coordonnés sur l’avenue Daumesnil, le poids lourd sait que le feu de la rue Abel va passer au vert. Il s’apprête à tourner à droite. Anticipant sa manœuvre, il regarde dans son rétroviseur et aperçoit une moto circulant dans la piste cyclable. Il ralentit sans marquer l’arrêt et, le feu étant passé au vert, tourne sans marquer l’arrêt. Il n’a pas vu Ilane. Heurté par l’avant droit du camion, l’enfant déséquilibré passe sous les roues du véhicule.

dossier65_2.gifIlane a trouvé la mort à ce carrefour entre la rue Abel et l’avenue Daumesnil, le 20 août 1997.

  • 10h25, le mardi 3 mai 1994… Richard, 38 ans, chauffeur expérimenté, conduit son semi-remorque rue de Maubeuge (IXe). Il sait vaguement qu’il y a des conditions pour circuler avec un tel engin dans Paris, mais il pense d’abord à exécuter les ordres de son patron. Arrivé au carrefour de la rue Condorcet, il commence à tourner à droite après avoir mis son clignotant. Dans le carrefour, à l’angle, un petit camion d’EDF est stationné face à la boutique de la même société, qui dispose pourtant d’un parking à cet endroit. Ce type de stationnement (d’EDF ou d’autres véhicules) est extrêmement fréquent à cet endroit, comme le confirmeront les observations. Gêné dans sa manœuvre, roulant au pas, Richard se déporte sur sa gauche pour élargir son rayon de giration…
    Sylvie a 38 ans. Agent immobilier, elle élève seule sa fille Lisette. Elle arrive sur la gauche du camion mais n’imagine pas la trajectoire curieuse du poids lourd, et ne se doute pas que Richard ne la voit pas. C’est pourtant le cas, car il regarde surtout son rétroviseur droit. Il la heurte à hauteur du phare avant gauche. Sylvie est comme happée au ralenti par la roue gauche du camion. La police demande au personnel du lycée de prévenir Lisette que sa maman ne rentrera plus.
  • André a 61 ans. Il est éboueur à la Ville de Paris. Il est 4h40 ce matin-là, quand André, qui habite le Kremlin-Bicêtre, prend son vélo pour rejoindre son lieu de travail. Il descend le boulevard Masséna. Nicolas, 25 ans, a passé la nuit en boîte et rentre avec près de 2 g d’alcool dans le sang. Il slalome et double à bonne vitesse les voitures qui “traînent”. D’abord à gauche, puis à droite. Il voit André trop tard et le heurte à l’arrière. Le cycliste, projeté en l’air, retombe la tête sur la borne haute de l’îlot précédant le viaduc qui passe sur les voies d’Austerlitz.
  • Frédéric a 32 ans. Etudiant en architecture, guide-conférencier, il vit avec Nadia. Il descend l’avenue Gambetta cette nuit du 6 septembre 1996. Son vélo est en mauvais état. Pas d’éclairage, pas de frein avant, un frein arrière abîmé, un dérailleur qui ne fonctionne pas… Les services de la ville qui passent en principe tous les jours n’ont pas rebouché ce nid-de-poule face au 20 de l’avenue. Il n’est pas très profond (4 cm), mais il est fort probable qu’il a entraîné la chute de Frédéric et la crevaison de la roue avant du vélo ! Un peu plus tard, un chauffeur de taxi aperçoit le corps dans une mare de sang. Frédéric est mort le jour même, d’un traumatisme crânien.

Ces quelques histoires d’accidents sont des histoires de tous les jours. Elles sont tirées des enquêtes REAGIR de Paris. On aurait malheureusement pu en raconter d’autres. Celles-ci illustrent bien trois types d’accidents parmi les plus fréquents :

  • accident avec choc arrière d’un véhicule arrivant vite (souvent dans des conditions de visibilité mauvaise et souvent en situation d’alcoolémie) ;
  • accident impliquant un poids lourd manœuvrant à faible vitesse ;
  • accident de cycliste seul tombant sur la tête.

Quels enseignements tirer de cette petite étude ?

La plupart de ces accidents sont arrivés sur des voies importantes ! La visibilité aux abords d’un camion est très mauvaise ; le chauffeur ne sent pas les chocs, ni n’entend les cris. Attention donc aux gymkhanas à proximité des poids lourds !

Le casque n’aurait pas sauvé tous les cyclistes impliqués, mais il aurait incontestablement protégé ceux qui ont subi les chutes de vélos seuls ou dans les accidents avec portière.

Parmi les usagers de la route, quelques-uns sont bien alcoolisés. Ils sont imprévisibles, et nous sommes transparents pour eux ! Raison de plus pour insister encore plus sur les baudriers et autres lumignons arrière !

Nous n’avons pas trouvé d’accident mortel avec alcoolémie du cycliste… Attention tout de même aux autres drogues. Le cannabis n’est vraisemblablement pas compatible avec notre position d’usagers “fragiles” !

Attention enfin aux piétons ! Durant ces 10 années, deux personnes âgées ont été tuées par des cyclistes. Cela n’est pas admissible ! Les piétons, même dans leur tort (ce qui n’était pas le cas dans les deux accidents en question), doivent être respectés. C’est la moindre des choses pour nous, qui demandons la même chose aux autres usagers de la route.

Poids lourds, attention danger !

Au niveau national, une analyse de la base de données REAGIR (voir page 5) fait apparaître que, pour 130 tués cyclistes en milieu urbain dont l’accident a fait l’objet d’une enquête, 25 l’ont été par des poids lourds, 88 par des véhicules légers, 10 par des transports en commun et 3 par des motos. La validité statistique de cette base est discutable, mais elle fait apparaître un sur-risque important des accidents avec poids lourd. A Paris, en 2001, trois des cinq accidents mortels ont impliqué un poids lourd !

dossier65_3.gifdossier65_4.gifExtraits d’une brochure éditée par la sécurité routière belge, dans le but de sensibiliser les conducteurs de poids lourds au danger de l’angle mort.

Hommage à une cycliste tuée

dossier65_5.gifLe 11 novembre dernier, le MDB a organisé une petite cérémonie à la mémoire de Béatrice Jamin, 21 ans, fauchée et tuée un mois plus tôt par un camion au coin de la rue du Sommerard et du boulevard Saint-Michel. Une silhouette a été tracée à la peinture sur la chaussée, à l’endroit précis de l’accident, pour symboliser ce drame et sa victime.

Au nom du MDB et de l’ensemble des cyclistes, Laurent Lopez a prononcé quelques mots émouvants : “La mort est injuste, la mort est d’autant plus injuste qu’elle touche une jeune. Les militants que nous sommes doivent tout faire pour empêcher de tels drames, et rappeler sans cesse que les cyclistes sont vulnérables et que les camions sont dangereux,” a-t-il notamment déclaré.

Après avoir observé une minute de silence, l’assistance, composée de la famille de Béatrice, de ses amis et de cyclistes du MDB, de Vivre à Vélo en Ville (venus en nombre de Montreuil), de Vélocité et de Vélo XV et VI ainsi que de la Ligue contre la violence routière, a déposé des fleurs sur le lieu où Béatrice avait perdu la vie.


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