n°108 (mars-avril 2009)

Pas si simple…

Dans ce numéro de Roue Libre, nous vous proposons un dossier sur les accidents cyclistes, notamment une enquête fouillée et circonstanciée sur les accidents mortels à Paris durant les trois dernières années. Non que nous voulions enterrer la cause cycliste, bien au contraire. Mais parce que entre les rêves d’aucuns, les embûches des autres et la rumeur au milieu, nous voulons mettre en avant la réalité.

Pour que vous aussi la connaissiez, cette réalité que les politiques, les policiers, les journalistes préfèrent arranger à la sauce qui leur convient, celle qui arrange, qui dérange le moins leurs habitudes d’automobilistes. Et pour que vous, cycliste quotidien qui savez que le vélo est un moyen de transport bien plus sûr que tous les autres, vous sachiez que vous avez raison.

Ce que nous voulons montrer surtout, c’est qu’un accident, ce n’est ni si fréquent, ni si simple.

Il n’y a jamais une cause seule, un seul fait unique et isolé. Ce n’est pas parce que l’automobiliste, le piéton, le cycliste, le lampiste n’ont pas respecté tel ou tel article du code de la route, ce n’est pas parce que la mairie n’a pas conçu l’aménagement idoine. Ce n’est rien de tout ça isolément et c’est tout cela à la fois. Les masques à la visibilité, les angles morts, la vitesse, la précipitation, l’arrogance d’être prioritaire, la mauvaise analyse des signaux qui sont là, sous nos yeux, les erreurs d’anticipation sur la trajectoire de l’autre, tout cela participe à l’accident Mais c’est tellement plus simple de ne retenir qu’un seul facteur de préférence celui qui nous exonère de toute responsabilité, de ne mettre en avant que la seule faute, d’autant plus facile à constater qu’elle est présupposée, pour l’opinion, être celle du cycliste.

ON dit que les cycliste ne respectent pas le sacro-saint code de la route, qu’ils sont dangereux. ON va même dire qu’ils sont dangereux non seulement pour eux, mais pour les autres. Que toutes les mesures coercitives à leur encontre sont prises pour leur sécurité. Notre sécurité, messieurs les censeurs, c’est NOUS, et on l’acquiert souvent malgré vous.

Parce que nous sommes à la fois fragiles car cernés par des engins qui pèsent 15 à 90 fois notre poids, et forts car agiles et attentifs à l’environnement qui nous entoure. Contrairement aux usagers à moteur nous faisons partie intégrante de la ville, nous ne nous contentons pas de la traverser comme si elle nous était inférieure et soumise. Nous en sentons les odeurs, nous en entendons les bruits, agréables ou désagréables, nous en percevons la respiration, la topographie, la logique, la vie. De par notre proximité due à l’absence de barrière physique (carrosserie, casque fermé), nous l’appréhendons dans toutes ses dimensions et avons ainsi conscience de l’espace dans lequel nous évoluons sans en faire abstraction, contrairement aux usagers à moteur concentrés qui sur la radio, qui sur la musique, qui sur son agenda (mais bon Dieu qu’est-ce que je vais pouvoir dire à monsieur De Mesmaeker pour qu’il signe ces contrats?), qui sur sa cravate, qui sur son maquillage, qui sur sa conversation téléphonique, qui sur son itinéraire (eh zut! cette rue est en sens interdit ah! si j’étais à vélo,je pourrais prendre le contresens cyclable), qui sur son délai de livraison, qui sur celui de devant qui ne sait pas conduire et qui n’avance pas assez vite (à ta place,j’y serais déjà, tocard). Bref, nous ne partageons pas toutes ces considérations quotidiennes qui font de l’autre un ennemi quand on est enfermé dans sa bulle mécanique.

Leur ville, ce n’est pas la ville que nous voulons, parce que ce n’est pas la ville que nous méritons. Donc roulons et roulons encore, sereins et attentifs.

Kiki Lambert

Cela pourrait également
vous intéresser !

Cela pourrait également
vous intéresser !

Cela pourrait également
vous intéresser !